Au Mali, les conséquences du changement climatique ne se limitent pas à la sécheresse ou à la montée des températures. Elles se manifestent aussi dans les champs. Une étude sur les cultures de saison, menée dans le cadre d’une thèse de doctorat, met en lumière un phénomène inquiétant : les Cultures de Saison Sèche (CSS), devenues indispensables pour assurer la sécurité alimentaire, attirent de plus en plus de rongeurs ravageurs, notamment les espèces du genre Arvicanthis.
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Sous la direction des chercheurs Bruno Sicard, Mohamed Sidda Maïga et du doctorant Solimane Ag Atteynine, cette étude conjointe entre l’Université d’Aix-Marseille et l’Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako, a analysé le comportement de deux espèces de rongeurs (Arvicanthis ansorgei et Arvicanthis niloticus) sur un large gradient climatique allant du Sud verdoyant de Sikasso au Nord aride de Gao.
« Effet tampon »
Les résultats sont sans appel : les densités de rongeurs explosent dans les zones cultivées en saison sèche comparées aux Milieux Non Cultivés (MNC). Quand on remonte vers les zones arides du Sahel, plus cet effet est marqué, notamment pour A. niloticus, espèce mieux adaptée à ces conditions extrêmes. Ces cultures irriguées agissent comme un « refuge alimentaire », maintenant une disponibilité de ressources même quand la nature s’assèche.
Ce phénomène est qualifié « d’effet tampon », neutralisant les effets du climat sur les populations de rongeurs. À cela s’ajoute un changement dans leur régime alimentaire : dans les CSS, les rongeurs consomment davantage de plantes cultivées, en particulier le riz, et augmentent leur consommation d’orthoptères (criquets, sauterelles), preuve d’un opportunisme alimentaire accru.
« Stratèges migrateurs »
L’étude révèle également une hausse du nombre de « stratèges migrateurs » au sein des populations de rongeurs. En clair, ces animaux sont capables de parcourir de longues distances pour rejoindre ces oasis agricoles. Une situation aggravée par l’aridité croissante qui pousse les rongeurs à quitter leurs habitats naturels en quête de nourriture. Ces migrations de masse vers les cultures représentent une menace directe pour la production agricole et la sécurité alimentaire. D’autant que ces rongeurs ne sont pas de simples visiteurs : ils s’installent, se reproduisent, et peuvent rapidement provoquer des pertes importantes sur les récoltes.
Stratégies de lutte adaptées
En mettant en relation écologie, climat et comportement animal, cette thèse apporte un éclairage précieux sur les effets indirects du changement climatique. Elle montre aussi la nécessité de développer des stratégies de lutte adaptées, tenant compte des dynamiques écologiques locales et du rôle attractif des systèmes agricoles en saison sèche.
L’étude en chiffres :
- Gradient climatique étudié : 5 régions du Mali (Sikasso à Gao), 1100 mm à 200 mm de précipitations annuelles.
- Période d’étude : données de terrain entre 1994-1999, puis 2009-2016.
- Espèces étudiées : Arvicanthis ansorgei (Sud humide), Arvicanthis niloticus (Nord aride).
Fabrice NOUZIANYOVO