Un moustique asiatique, urbain et résistant aux insecticides, menace l’Afrique
Un moustique asiatique, l’Anopheles stephensi, s’implante progressivement en Afrique et pourrait avoir des conséquences dramatiques pour la lutte contre le paludisme.
Déjà présent à Djibouti, en Éthiopie et au Kenya, cet insecte résistant aux insecticides menace des millions de citadins à travers le continent. Selon une étude de 2020, il pourrait toucher jusqu’à 126 millions de personnes vivant dans des zones urbaines.
Originaire d’Asie, l’Anopheles stephensi est devenu un vecteur majeur de paludisme dans les villes indiennes et iraniennes. En Afrique, il a été détecté pour la première fois à Djibouti en 2012, où il a provoqué une hausse spectaculaire du nombre de cas, après que le pays ait presque éradiqué la maladie.
En 2020, plus de 70 000 cas ont été enregistrés dans le pays, une recrudescence inquiétante qui s’est ensuite propagée à l’Éthiopie voisine, entraînant une “augmentation sans précédent” des cas, selon l’OMS.
En 2024, les cas de paludisme en Éthiopie ont doublé, passant de 4,1 millions à 7,3 millions, avec une augmentation des décès de 527 à 1 157.
Un moustique difficile à contrôler
L’Anopheles stephensi se distingue par sa capacité à se reproduire dans des réservoirs d’eau urbains tels que les gouttières ou les unités de climatisation. Résistant aux insecticides, il pique plus tôt dans la soirée que d’autres espèces de moustiques, ce qui rend les moustiquaires moins efficaces. Cette adaptation perturbe les méthodes de prévention traditionnelles contre le paludisme et pourrait annuler des décennies de progrès réalisés dans la lutte contre cette maladie.
Meera Venkatesan, responsable de la division paludisme à l’USAID, souligne que “l’invasion et la propagation de l’Anopheles stephensi pourraient potentiellement bouleverser le paysage du paludisme en Afrique et inverser des années de lutte contre cette maladie.”
Une menace pour les grandes villes africaines
Les experts craignent que ce moustique urbain n’atteigne des villes densément peuplées comme Mombasa au Kenya ou Khartoum au Soudan. L’OMS estime que jusqu’à 126 millions de citadins pourraient être exposés à ce nouveau vecteur de la maladie à travers le continent africain.
De plus, l’arrivée de ce moustique menace de compromettre les avancées réalisées en matière de contrôle du paludisme dans certains pays, à l’image de l’Égypte, récemment déclarée exempte de paludisme après plus d’un siècle de lutte.
De nombreuses incertitudes demeurent
Malgré la présence confirmée de l’Anopheles stephensi au Kenya à la fin de 2022, son expansion reste incertaine. Les experts s’interrogent encore sur sa biologie et son comportement, notamment sur ses besoins en températures élevées.
Charles Mbogo, président de l’Association panafricaine de lutte contre les moustiques, appelle à davantage de recherches pour mieux comprendre cet insecte et pour sensibiliser les populations aux mesures de prévention, telles que la couverture des réservoirs d’eau.
De nouveaux défis pour la lutte contre le paludisme
Cette invasion s’ajoute à d’autres préoccupations majeures, comme la résistance aux médicaments observée dans plusieurs pays d’Afrique, notamment en Ouganda, au Rwanda, en Tanzanie et en Érythrée.
Selon l’OMS, l’arrivée de résistances aux traitements est imminente et l’organisation travaille avec les gouvernements africains pour diversifier les traitements et limiter la propagation de la résistance.
Pour Meera Venkatesan, la propagation du paludisme due à l’Anopheles stephensi pourrait accélérer la propagation d’autres menaces.
Dorothy Achu de l’OMS insiste sur la nécessité d’une “approche continentale” face à cette crise, tandis que Charles Mbogo souligne l’importance d’une “volonté politique” accrue pour coordonner les efforts de lutte contre ce fléau.
L’arrivée de ce moustique, couplée à la résistance aux médicaments, pourrait remettre en cause des décennies de progrès dans la lutte contre le paludisme en Afrique.
SS avec Le Monde