Le commerce illicite de médicaments, souvent qualifié de « pharmacie de la rue », constitue une menace silencieuse mais persistante pour la santé publique en Afrique subsaharienne. En Côte d’Ivoire, ce phénomène prend des proportions inquiétantes, représentant plus de 30 % des ventes de médicaments, selon les estimations officielles. La récente thèse de doctorat soutenue le 29 juillet 2025 par un chercheur en géographie de la santé, focalisée sur la ville de Korhogo, jette une lumière crue sur les limites des politiques publiques en matière de régulation pharmaceutique et de lutte contre ce fléau.
Dans son travail, le chercheur Moustapha Abdou Ouattara met en évidence une réalité bien connue mais peu documentée à l’échelle locale : la structuration complexe et résiliente du marché illicite des médicaments dans une grande ville du nord ivoirien. En dépit des efforts des autorités, 6 332 kg de faux médicaments ont été saisis et détruits dans la seule ville de Korhogo entre 2021 et 2023, selon la Direction régionale des Douanes. Ces chiffres ne reflètent qu’une fraction d’un marché bien plus vaste et profondément ancré dans le tissu socio-économique urbain.
Pourquoi Korhogo ? Car cette ville, en forte croissance démographique et marquée par un étalement urbain non maîtrisé, concentre de nombreux facteurs propices au développement du commerce illégal. Les quartiers périphériques, mal desservis par le système de santé formel, deviennent des zones d’implantation idéales pour les vendeurs de médicaments illicites, souvent mieux accessibles et perçus comme plus abordables par une population en majorité issue du secteur informel.
Les résultats de l’enquête menée dans le cadre de cette recherche, incluant des observations de terrain, des questionnaires et des entretiens avec les autorités locales (douanes, santé, ordre des pharmaciens, justice), montrent une réalité accablante : les politiques publiques peinent à enrayer durablement le phénomène. Manque de coordination entre services, faibles moyens logistiques, absence de relais communautaires, ou encore corruption, sont autant de freins à l’efficacité de la lutte.
Le cas de Korhogo résonne avec celui d’autres villes africaines. Selon l’OMS, plus de 10 % des médicaments en circulation en Afrique sont contrefaits ou de qualité inférieure. L’Afrique de l’Ouest, en particulier, est un épicentre du trafic mondial, via des circuits qui empruntent les ports, les frontières poreuses et les marchés urbains. À Abidjan, Adjamé est connu comme un centre névralgique du commerce informel de médicaments, souvent difficile à démanteler malgré des opérations régulières menées par le Comité national de lutte contre le trafic de médicaments (COTRAMED).
“En s’intéressant à la géographie urbaine du commerce illicite de médicaments, cette thèse apporte une contribution originale à la compréhension d’un phénomène aussi complexe que dangereux”, a apprécié le président du jury, Professeur Gnabro Ouakoubo Gaston ( Professeur titulaire à l'université péléforo Gbon Coulibaly).
Elle montre, poursuit l’éminent scientifique, que les enjeux de santé publique sont aussi des enjeux territoriaux, et que toute politique sanitaire efficace doit intégrer les réalités locales : modes de vie, accès aux soins, réseaux de solidarité et vulnérabilités économiques.
Au-delà de la validation académique – la thèse du désormais Docteur Moustapha Abdou Ouattara par une mention Très Honorable –, c’est un appel à l’action intersectorielle que lance ce travail de recherche, à l’heure où la lutte contre la contrefaçon des médicaments s’impose comme une urgence de santé publique mondiale.
Ce travail scientifique a été réalisé durant plus de cinq ans sous la direction de Dr Kra Kouadio Joseph, maître de conférences à l'université péléforo Gbon Coulibaly de Korhogo.
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Encadré – Quelques chiffres clés :
• 30 % : part estimée du marché illicite dans les ventes de médicaments en Côte d’Ivoire
• 6332 kg : volume de faux médicaments saisis à Korhogo entre 2021 et 2023
• 618 tonnes : volume total saisi sur le territoire ivoirien entre 2014 et 2018
• 5 milliards FCFA : manque à gagner en taxes pour l’État chaque année
• 77 % : part des femmes parmi les vendeurs de médicaments de rue à Korhogo
Rédaction