Bamako, le samedi 29 novembre 2025(SS)- Au Mali, les chiffres sur le cancer de la prostate sont alarmants. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 352 décès ont été enregistrés au Mali en 2020, plus de 1000 nouveaux cas recensés en 2022. L’âge moyen des patients est de 71 ans, mais des cas apparaissent dès 54 ans, parfois même plus tôt. Ce mardi 11 novembre 2025, des hommes de tous âges, certains en boubous immaculés, et d’autres en tenues professionnelles, se dirigent vers l’espace dressé pour abriter la cérémonie officielle du lancement de la première édition du Novembre Bleu au Mali. À leurs côtés, des femmes, mères, épouses, sœurs, patientes mais déterminées, sont venues témoigner de leur soutien à une cause trop longtemps évoquée discrètement dans les discussions : la santé masculine et en particulier, la lutte contre le cancer de la prostate.
Dans un pays où le dépistage demeure encore synonyme de crainte ou d’embarras, cette mobilisation inattendue suscite l’attention. On sent comme un frémissement social, une volonté de rompre un silence pesant. Ce jour-là, l’atmosphère a des airs d’engagement citoyen, presque d’un éveil collectif voire national.
« Maladie des vieux » est une erreur qui peut coûter des vies
Pr Mamadou Lamine Diakité, urologue, rappelle que qualifier cette pathologie de « maladie des vieux » est une erreur qui peut coûter des vies. Ce mythe, solidement ancré dans la société malienne, pousse de nombreux hommes à retarder leur dépistage. Certains pensent que tant qu’ils sont encore “jeunes et forts”, ils sont à l’abris de la maladie. D’autres refusent l’examen par pudeur ou par crainte d’un diagnostic qu’ils préfèrent ne pas savoir. Et pourtant : c’est précisément dans ces moments où tout va bien que le dépistage a le plus grand impact, puisque préventif et surtout salvateur.
« Le cancer de la prostate, un mal qui peut être guéri »
Après un Octobre Rose consacré à la santé des femmes, le pays inaugure pour la première fois un mois entièrement dédié aux hommes : Novembre Bleu. Une initiative portée par l’Office National de la Santé de la Reproduction (ONASR), avec l’appui du ministère de la Santé et du Développement social. Cette initiative marque un tournant dans la lutte contre les cancers masculins, particulièrement celui de la prostate, l’un des plus meurtriers mais aussi l’un des plus méconnus. Le thème retenu : « Le cancer de la prostate, un mal qui peut être guéri » résonne comme une promesse d’espoir. Le slogan « Avec Ntola, pas de silence sur la santé des hommes » tranche radicalement avec les non-dits habituels. L’objectif est clair : mettre fin au tabou, en parler partout et surtout, inviter les hommes à prendre en main leur propre santé. Leur propre bien-être.
« Le cancer n’est nullement une fatalité »
Lorsque la ministre de la Santé et du Développement social, Médecin Colonel-major Assa Badiallo Touré fait son entrée, la salle lui réserve un accueil chaleureux. La solennité du moment donne davantage de poids à son allocution. Sa voix, posée mais ferme, porte un message qui se veut à la fois rassurant et mobilisateur. « Comme toute autre pathologie, le cancer de la prostate détecté à temps peut être guéri », rappelle-t-elle avec optimisme et assurance. « Le cancer n’est nullement une fatalité. » Cette phrase, répétée maintes fois, déclenche des murmures approbateurs dans l’assistance. Le message est destiné à effacer cette idée largement répandue que le cancer est toujours un verdict définitif. Non, martèle-t-elle, contrairement aux croyances, un diagnostic précoce peut changer le cours de la maladie.
La ministre a insisté sur l’importance pour les hommes de vaincre la gêne autour du dépistage. « Nous devons accorder une attention particulière à cet acte de dépistage plusieurs fois dans l’année, afin de nous mettre à l’abri de ce mal silencieux. », a-t-elle invité. Le terme mal silencieux résume à lui seul la difficulté du combat : le cancer de la prostate évolue souvent sans douleur, sans symptôme visible, et frappe quand il est déjà trop tard.
Leaders religieux et communautaires… mobilisés pour relayer les messages
Pour inverser cette tendance, la campagne Novembre Bleu ne se limite pas à une cérémonie symbolique. Pendant tout le mois, des équipes mobiles de dépistage sillonnent différentes régions du pays ; des consultations gratuites sont organisées ; des sessions de sensibilisation se déroulent dans les communautés. Aussi, les médias, les lieux publics ; des leaders religieux et communautaires sont-ils mobilisés pour relayer les messages. L’approche est inclusive, presque communautaire. L’idée est d’amener le dépistage jusqu’aux hommes, plutôt que de les attendre dans les centres de santé, où certains n’oseront jamais se rendre pour ce type d’examen. Le message est divulgué à la radio, à la télévision, dans les mosquées, dans les églises, dans les marchés etc. Des animateurs n’hésitent plus à poser la question en direct : « Messieurs, quand avez-vous fait votre dernier dépistage ? »
Un sujet intime
Ce changement de ton est une petite révolution culturelle. Au Mali, les hommes évoquent rarement leur santé intime, encore moins devant un professionnel de santé. Le dépistage du cancer de la prostate implique parfois des examens que nombreux d’entre eux jugent tabous. C’est précisément ce mur de réticence que la campagne veut faire tomber.
Des témoignages aident à faciliter la transmission du message. Celui d’un ancien instituteur, dépisté juste à temps, touche profondément lorsqu'il raconte comment une simple consultation lui a « sauvé la vie ». Celui d’un jeune cadre, 48 ans, révèle que « si le cancer n'avait pas été découvert tôt, il serait passé à côté de la vie de sa famille ». Ces récits factuels et poignants brisent le silence plus efficacement que n’importe quelle campagne institutionnelle, dit-on.
Un enjeu de société, de gouvernance et d’équité sanitaire
Dans son discours, la Ministre Assa Badiallo Touré a salué l’engagement des autorités de la Transition qui ont fait des maladies non transmissibles une priorité nationale. Le combat contre le cancer de la prostate n’est plus uniquement un enjeu médical ; il devient un enjeu de société, de gouvernance et d’équité sanitaire. L’implication de l’ONASR et des partenaires techniques reflète une nouvelle stratégie : prévenir avant de guérir, anticiper plutôt que subir. La campagne vise aussi à mieux informer les familles, car dans beaucoup de foyers ce sont les femmes qui poussent les hommes à aller à l’hôpital.
Instaurer un rituel préventif dans la société malienne
En promouvant le dépistage précoce, la campagne ne cherche pas seulement à sauver des vies, mais à instaurer un rituel préventif dans la société malienne. Une nouvelle habitude annuelle à l’image d’Octobre Rose. Un moment où il est question discute ouvertement de santé masculine, où l'on encourage les frères, les époux, les pères et les amis à se protéger. Ce Novembre Bleu 2025, premier du nom, apparaît donc comme un acte fondateur. Il ouvre un espace de dialogue inédit entre médecins, responsables politiques, communautés et citoyens. Il rompt l’omerta, installe un vocabulaire nouveau, libère une parole longtemps retenue.
Si le mois de novembre devenait désormais un symbole de courage et de responsabilité, ce serait parce que les Maliens auront compris qu’un dépistage peut être l’acte le plus viril, le plus protecteur et le plus aimant qu’un homme puisse accomplir pour lui-même et pour ceux qui l’aiment.
Fabrice Nouzianyovo

