Le Professeur Halidou Tinto, éminent chercheur burkinabè, revient dans cet entretien exclusif accordé à Science et Société sur le développement du vaccin antipaludique R21, une avancée majeure dans la lutte contre cette maladie endémique en Afrique. Pilote des essais cliniques en Afrique, il partage les étapes clés du projet, les défis rencontrés et l’impact de cette innovation sur la reconnaissance des compétences scientifiques africaines. Entre engagement personnel, obstacles surmontés et perspectives pour la recherche, il livre une réflexion inspirante sur l’avenir de la science en Afrique.
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Une avancée majeure
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Science et Société (SS) : Bonjour Professeur Halidou Tinto, comment vous sentez-vous aujourd’hui, après avoir contribué au développement d’un vaccin aussi prometteur que le R21 ?
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Pr Halidou Tinto : Comme vous pouvez l’imaginer, c’est un sentiment de joie et une grande satisfaction pour moi de savoir que ce que je fais comme travail depuis une dizaine d’années en tant que chercheur a abouti à quelque chose de concret utilisable par les populations pour prévenir une maladie aussi importante qu’est le paludisme qui a encore malheureusement fait en 2023 plus de 600,000 décès.
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SS : Pouvez-vous nous raconter l’origine de ce projet ? D’où est venue l’idée et quels ont été les premiers pas dans cette aventure scientifique ?
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Pr Halidou Tinto : Le projet de développement du vaccin R21 est une aventure de plus de 10 ans qui a débuté au Jenner Institute de l’Université d’Oxford au Royaume Uni où l’équipe du Professeur Adrian Hill a réussi la prouesse de modifier la protéine qui a servi à concevoir le vaccin RTS,S de la firme Pharmaceutique Belge GSK dans la perspective de proposer un vaccin plus efficace et à moindre coût.
Après les études pré-cliniques au Royaume Uni et celles de Phase 1 chez les
Ce sont ces dernières qui ont permis de rapporter pour la première fois dans
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SS : Quels ont été les moments décisifs dans les différentes phases de
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Pr Halidou Tinto : Comme je l’ai mentionné plus haut le développement de ce vaccin a connu plusieurs étapes mais celle qui a été la plus décisive, c’est l’essai clinique de Phase 2 que nous avons conduit à Nanoro et qui a rapporté une efficacité jamais espéré pour un parasite de plus de 75%. En effet, au vu de la complexité du parasite, l’OMS n’espérait pas atteindre une telle efficacité avant l’horizon 2030. Cela est venu revigorer l’espoir d’une possible élimination du paludisme ou en tout cas son contrôle dans les années à venir.
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SS : En tant que scientifique africain, avez-vous ressenti une pression particulière ou des attentes spécifiques au cours de ce processus ?
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Pr Halidou Tinto : Au début de l’essai clinique de Phase 2, nous n’avons senti aucune pression particulière car nous étions dans les mêmes dispositions que les
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Réflexion sur les compétences scientifiques africaines
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SS : Ce succès marque-t-il un tournant dans la reconnaissance des compétences
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Pr Halidou Tinto : Tout à fait car bien que le vaccin en tant que produit de santé ait été fabriqué par l’équipe de l’Université d’Oxford, les essais cliniques qui ont permis de démontrer son efficacité et sa sécurité d’emploi ont été entièrement conduits et piloté par les équipes africaines. Ce qui vient démontrer une fois de plus que l’Afrique dispose de compétences capables de mettre en œuvre des essais cliniques de grande qualité à même de changer la politique mondiale en matière de santé.
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SS : Selon vous, qu’est-ce qui freine encore la pleine confiance en la capacité de l’Afrique à produire des solutions innovantes pour ses propres défis ?
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Pr Halidou Tinto : Cela a été vrai pendant de longues années, mais il faut reconnaitre que ces dernières années ce manque de confiance en la capacité des chercheurs africains à proposer des solutions aux problèmes de santé du continent est en train de se dissiper pour faire place à une reconnaissance de nos valeurs et justement un projet comme celui du développement du vaccin R21 vient encore réaffirmer cela.
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SS : En tant que chef de file dans ce projet, quelles valeurs ou méthodes avez-vous adoptées pour mobiliser vos équipes autour de cet objectif ambitieux ?
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Pr Halidou Tinto : Comme je l’ai toujours dit, ma grande chance dans ma carrière est d’avoir réussi à construire une vraie équipe constituée de jeunes scientifiques bien formés avec de grandes compétences et dont certains même sont beaucoup plus intelligents que moi. Cet esprit d’équipe que j’ai réussi à construire et à leur inculquer a forcément créé un sens de l’appropriation et de la responsabilité qui nous permet d’atteindre les résultats que vous voyez aujourd’hui.
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Le parcours et les défis personnels
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SS : Revenons un instant sur votre parcours : qu’est-ce qui vous a inspiré à poursuivre une carrière en parasitologie ?
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Pr Halidou Tinto : Les raisons de ma motivation à épouser la carrière de chercheur est une longue histoire personnelle. Pour faire court, je dirai que lors de mon examen de baccalauréat en 1988, j’ai été très malade de paludisme le deuxième jour de l’examen au point d’abandonner la composition. J’ai dû alors redoubler perdant ainsi une année. A partir de ce moment, je me suis lancé le défi de travailler sur cette maladie afin de proposer des solutions pour que d’autres jeunes ne vivent pas la même triste expérience que moi et comme le paludisme fait partie des maladies parasitaires, j’ai choisi de m‘orienter vers cette discipline. Voilà comment je suis arrivé dans ce milieu de la recherche sur le paludisme.
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SS : Vous avez choisi de mener vos recherches au Burkina Faso, alors que beaucoup préfèrent l’étranger. Pourquoi ce choix et quels sacrifices cela a-t-il
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Pr Halidou Tinto : Vous avez raison. Cependant, comme vous le savez, le paludisme est d’abord un problème africain même si je reconnais que je pouvais bien résider en occident et travailler sur cette maladie (car il y a beaucoup d’ailleurs qui le font). Je me suis également dit que l’Afrique avait beaucoup plus besoin de moi que l’occident qui regorge d’aussi grands sinon de meilleurs talents que moi pour participer à leur développement. En effet, le problème que nous avons en Afrique ce n’est pas la qualité de nos ressources humaines mais c’est plutôt le nombre et tant que nous n’allons être capable de produire une masse critique de femmes et d’hommes de qualité dans tous les domaines, il sera difficile de développer notre continent. Vous comprendrez donc que ma décision de revenir au Burkina Faso après ma thèse en Belgique alors que j’avais reçu une bonne offre pour aller aux États Unis participe également à la construction de cette masse critique. En effet au-delà des recherches que je mène, je participe également à la formation de plusieurs jeunes africains qui sont l’avenir du contient tout en leur faisant comprendre que l’on peut bien vivre, travailler et réussir en Afrique et qu’il n’est pas nécessaire de toujours rechercher coût que coût l’expatriation et quelque fois même au risque de sa vie.
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SS : Quels enseignements tirez-vous de cette trajectoire, surtout pour les jeunes chercheurs africains qui hésitent à revenir sur le continent ?
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Pr Halidou Tinto : C’est ce que j’ai dit plus haut. Il suffit de me regarder et de se dire que c’est possible, mais bien entendu que ces jeunes doivent être conscient que les conditions sont plus difficiles en Afrique et qu’ils devront se battre peut-être deux fois plus pour arriver aux mêmes résultats qu’un européen qui dispose dans son pays de meilleures conditions et de plus de facilités.
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Perspectives
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SS : Après le R21, quels sont vos projets ou objectifs prioritaires pour la recherche scientifique en Afrique ?
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Pr Halidou Tinto: Nos projets prioritaires pour les 5 années à venir vont porter sur le développement de vaccins de deuxième génération plus efficace que le R21. Il s’agira plus précisément de travailler sur le développement d’une nouvelle protéine appelée RH5.1 qui est un vaccin ciblant la pénétration du parasite dans les globules rouges chez l’homme et qui va participer à la mise au point des vaccins de deuxième génération après les vaccins RTS,S et R21 qui sont actuellement en cours de déploiement en Afrique et qui eux ciblent le stade de la pénétration du parasite dans le foie chez l’homme.
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SS : À quoi pourrait ressembler, selon vous, un écosystème idéal pour la recherche en Afrique d’ici 10 ans ?
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Pr Halidou Tinto : Notre rêve pour l’Afrique dans les 10 prochaines années est de voir une réelle décolonisation de la recherche sur notre continent où nous allons réussir à mettre en place toutes les ressources et capacités à même de nous permettre de contrôler l’agenda de notre recherche, surtout dans la définition des priorités de notre continent en matière de recherche. Cela nous permettra de collaborer d’égal à égal avec nos partenaires de l’occident pour une recherche gagnant-gagnant.
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SS : Comment renforcer les collaborations Sud-Sud pour multiplier les succès comme celui du vaccin contre le paludisme ?
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Pr Halidou Tinto : La décolonisation de la recherche dont j’ai parlé plus haut va
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Message aux décideurs et à la jeunesse
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SS : Vous avez souvent parlé de la nécessité d’un leadership politique fort pour soutenir la science. Que faudrait-il mettre en place concrètement ?
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Pr Halidou Tinto : C’est ce que j’ai dit plus haut, lorsque vous avez évoqué la question de la collaboration sud-sud. Je pense qu’au-delà des discours et des chapelets de bonnes intentions, nous avons besoin de voir des actions concrètes au niveau de nos instances régionales et sous-régionale pour permettre aux chercheurs africains de ne pas être exclusivement dépendants de l’occident en matière de financement car en ce moment ce sont eux qui vont contrôler les choses et nous dicter ce que nous devons faire.
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SS : Un dernier mot pour les jeunes Africains qui rêvent de science mais doutent encore des opportunités sur le continent ?
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Pr Halidou Tinto : Comme je l’ai dit plus haut, je suis un exemple vivant que nous africains, pouvons bien réussir à bâtir de grandes choses sur notre continent pour le bénéfice de nos populations et qu’ils ne doivent plus laisser la place au doute dans la perspective de la réalisation de leur rêve de carrière sur le sol africain.
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SS : Et pour les décideurs internationaux qui observent ce succès du R21 depuis l’extérieur, que leur diriez-vous pour renforcer leur soutien à la recherche africaine ?
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Pr Halidou Tinto : Je leur dirai que le succès du projet R21 qui a été financé par l’Union
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