Youssouf Tata Cissé, le chercheur qui a percé le secret de l’ésotérisme Donzo
Ethnologue, historien, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et professeur à la Sorbonne, Youssouf Tata Cissé était aussi maître chasseur et «grand initié» dans l’une des plus puissantes sociétés d’initiation du Mali, celle de la confrérie des Donzos. Le chercheur s’est éteint le 10 décembre 2013 à Paris. Retour sur l’histoire d’un homme qui a été le trait d’union entre l’oralité et l’écriture.
Rapporter ce qui ne l’a jamais été auparavant. Pour Roland Colin, telle était la mission de Youssouf Tata Cissé. «Youssouf appartient à la précieuse phalange de ces plongeurs des profondeurs, rapportant les paroles inconnues du commun des mortels», a écrit l’anthropologue et président d’honneur de la Société des africanistes, dans un texte, en hommage à son « ami », intitulé: Youssouf Tata Cissé, maître chasseur, grand initié, en quête de vérités profondes.
Né en 1935 à San (région de Ségou) à 420 km de Bamako, Youssouf Tata Cissé a appris les récits de chasse près de Babintou Doumbia, sa mère adoptive. Il fit ses premiers pas dans la chasse à l’âge de 16 ans. D’abord instituteur, Youssouf a mis le «pied dans l’étrier de la recherche», comme il le dit lui-même, dans les 1959 – 60. «Quand je me trouvais dans la Haute vallée du Niger […] en assistant à des rituelles de levée de deuil, je me suis dit,… mais toute l’histoire de l’Afrique de l’Ouest est évoquée, suggérée et magnifiée par les récits de chasse», raconte le chercheur dans des archives sonores mises à la disposition de l’Institut des Sciences Humaine du Mali par Radio France Internationale.
Epris de chasse et des récits de chasse, Youssouf s’envole, en 1970, pour des études poussées en France. Trois ans plus tard, il présente, à l’Ecole pratique des hautes études (Paris), sa thèse intitulée: «un récit initiatique de chasse Boli-Nyanan». C’était sous la direction de Germaine Dieterlen, l’ethnologue française avec laquelle, en 1972, il publie son premier livre «Les Fondements de la société d’initiation du Komo». Déjà reconnu par les pairs pour l’originalité de son œuvre, Youssouf Tata Cissé joue un rôle de premier plan dans l’organisation du Premier Colloque international de Bamako qui s’est tenu du 27 janvier au 1er février 1975 sur le thème:« l’Empire du Mali ». Un moyen dira-t-il d’entendre les différents traditionnalistes sur cet épisode important de l’histoire de l’Afrique de l’Ouest.
Un enseignant atypique
A Paris, Youssouf Tata Cissé devient chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et enseignant à la Sorbonne. Bien que désormais installé en France, les activités de recherche de Youssouf l’amènent régulièrement en Afrique notamment à Bamako et à Dakar. A l’Université de Dakar (Institut fondamental d’Afrique noire), le chercheur se lie d’amitié avec Cheick Anta Diop et Lilyan Kesteloot, une chercheuse belge spécialiste des littératures négro-africaines francophones. En 1983, lors d’un déplacement à Dakar, Youssouf Tata Cissé fait la connaissance de son compatriote Fodé Moussa Sidibé, étudiant de Lilyan Kesteloot.
« Bien des chercheurs ont rapporté des histoires d’Afrique sans citer le griot à la source. Youssouf a refusé cela…. »| Dr Fodé Moussa Sidibé
Pendant 30 ans, Dr Fodé Moussa Sidibé, enseignant-Chercheur à l’Université des Lettres et des Sciences de Bamako (ULSHB), restera aux côtés de « son professeur ». Il décrit un homme jovial, taquin, jamais satisfait de ce qu’il écrit. Imposant par son physique, le Soninké était, selon son élève, d’une rigueur toute scientifique. Cependant, indique Dr Fodé Moussa Sidibé, la vision de la science de Cissé n’était pas la vision occidentale. «Il n’a jamais voulu lâcher le paradigme africain de la transmission du savoir», affirme le sociologue. Ces enseignements, explique Dr Sidibé, ne se différenciaient pas de ses causeries, tout était transmission du savoir. Un enseignement qui allait dans tous les sens pour les non habitués à l’oralité. «Cissé avait la même méthode d’enseignement que son père, maître coranique», rapporte son disciple, lui aussi initié de la confrérie donzo.
«Il était académique à sa manière», témoigne Nadine Wanono, anthropologue et chercheuse au CNRS. «Il a voulu pousser les frontières académiques en restant ce qu’il était. Il n’a jamais voulu changer», révèle Nadine, présente à Bamako, à l’Institut des sciences humaines (ISH), en décembre 2019, lors du Colloque international en hommage à Youssouf Tata Cissé.
Un infiltré dans la confrérie Donzo ?
L’histoire de Youssouf Tata Cissé est indissociable de celle de son ami et maître Wa Kamissoko. Né à Kirina en 1925, Wa décède prématurément à 1976. Spécialiste des traditions orales, Wa Kamissoko ne savait ni lire ni écrire. Pourtant, il est co-auteur de la plupart des œuvres de Youssouf Tata Cissé. Pour Fodé Moussa Sidibé, la grandeur de chercheur de Youssouf se trouve à ce niveau. « Bien des chercheurs ont rapporté des histoires d’Afrique sans citer le griot à la source. Youssouf a refusé cela, Wa avait les mêmes droits que lui sur ses livres », explique Dr Sidibé.
Initié à la chasse par obligation de recherche, Youssouf n’était-il pas un infiltré dans la confrérie des chasseurs donzos? « Non ! », répond son élève Fodé Moussa Sidibé. «Chez nous, le savoir appartient à tout le monde», ajoute le chercheur qui se définit, à l’image de son professeur, comme un donzo (dans le sens manding du terme), c’est-à-dire celui qui est à la recherche du savoir. «Il y a certaines choses qu’on ne peut pas mettre dans l’oreille d’un non initié». C’est ainsi que Wa Kamissoko a initié Youssouf qui savait les limites à ne pas franchir.
Youssouf Tata Cissé est auteur de plusieurs œuvres dont: (avec Émile Leynaud) Paysans Malinké du Haut Niger: tradition et développement rural en Afrique Soudanaise, 1978; (avec Wa Kamissoko) La grande geste du Mali. Des origines à la fondation de l’empire, 1988; (avec Wa Kamissoko) Soundiata ou la gloire du Mali, 1991; La confrérie des chasseurs Malinké et Bambara: mythes, rites et récits initiatiques, 1994. Dans ces deux dernières publications, Youssouf Tata Cissé fait référence pour la première fois à la Charte de Kouroukan Fouga. Il y consacrera, en 2003, un livre intitulé la Charte du mandé et autres traditions du Mali.
En 2009, sur la base des travaux de Youssouf Tata Cissé, l’Unesco inscrit la Charte du mandé au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
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Dr Fodé Moussa SIDIBE est mon professeur de la littérature orale à l’université de Bamako, département Lettres.