Voilà comment le franc CFA profite plus à la France qu’à l’Afrique? (Acte 2)
Dans cet article Dr Lamine Keita met en lumière comment par le système de deux monnaies la France tire profit du franc FCFA. Un mécanisme malicieux pourtant déjà utilisé par les rois au Moyen-âge. L’auteur de deux ouvrages sur l’économie scientifique poursuit son décryptage sur les origines du franc CFA. ( NB: le titre du texte et le chapeau sont de la rédaction de JSTM).
Dans l’article précédent Lamine KEITA a montré comment, au moyen-âge, le Roi gagnait facilement de l’argent en dessaisissant la population de ses ressources monétaires. Il lui aura suffi, pour ce faire, de revoir à la baisse la définition de sa seconde monnaie, l’écu, en quantité de la première, la Livre Tournois. De plus, faut-il noter, que le Roi, aidé des mêmes conseillers, modifiait la définition de la Livre Tournois pour orienter le commerce avec l’étranger, ainsi que chacun peut le vérifier parmi les faits historiques les mieux entretenus.
Ce mécanisme de gain facile, désigné dans l’histoire par l’expression droit de seigneuriage par refonte, auquel recourrait le Roi en toute indépendance pour disposer des ressources monétaires est consécutif à la manipulation liée à deux fonctions importantes de l’instrument de mesure en économie, à savoir la fonction d’étalon de mesure et la fonction d’instrument de mesure (ou de numéraire). Cependant, nous avons vu que le 7 avril 1795, le franc, doté du décime et du centime, a été substitué à la Livre Tournois tout en jouant le rôle de l’écu qui a été aboli, instituant de fait une monnaie unique dans l’économie.
Ainsi, les économistes modernes, qui ont suivi, ont considéré cette situation de monnaie unique qui prévaut dans les pays occidentaux comme une donnée acquise, comme le rappelle d’ailleurs Maurice Allais dans son cours d’économie générale, Tome I, 1959, Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, lorsqu’il indique que l’économie qu’il enseigne est « celle qui prévaut dans les pays occidentaux où la moneta (numéraire) apparaît comme la représentation matérielle de la monetie (unité de compte, étalon) alors qu’il n’en a pas été toujours ainsi. Au moyen-âge, par exemple, poursuit-il, la moneta représentée par l’écu était distincte de la monetie, représentée par la Livre Tournois. ».
Ce choix d’une monnaie unique est également proclamé chez Aristote et plus tard chez L. Walras[1] lorsque celui-ci écrit que cette situation de numéraire unique dans l’économie est souhaitable, «car en avoir deux serait de compliquer les choses à plaisir ».
A ce choix de monnaie unique est associée l’observation naturelle des prix sur les marchés à travers leur relevé direct et leur analyse par les économistes, comme si, comme l’écrit Christian SCHMIDT[2] : « le domaine de l’économie est habité naturellement par des quantités et des prix, et qu’il se prête d’emblée par conséquent au dénombrement sauvage et à la quantification naïve.»
A mon avis, une telle affirmation, qui devrait sonner comme un aveu d’incapacité devant donner lieu à la remise en cause fondamentale d’une démarche empirique, nécessairement défaillante et qu’il aurait fallu abandonner, a plutôt été tolérée dans la discipline comme étant une simple déclaration normale qui n’appelle aucune action concrète de la part des économistes, ces derniers s’étant ainsi montrés comme satisfaits de données que la nature se serait ainsi chargée de produire pour leurs besoins d’analyse.
Malheureusement, en procédant ainsi, ces économistes ignorent que la production de chiffres est un travail scientifique de tout premier plan qui ne peut être effectif qu’à l’issue de plusieurs étapes successives, chacune devant conduire à un résultat spécifique qui lui sera attaché[3].
Aujourd’hui, ces économistes, à travers la Banque mondiale et le Fonds Monétaire International, sont appelés au chevet des économies malades des pays africains de la zone franc. Or, il se trouve que sous l’influence de la France, ces économies qui ont été bâties à l’exemple de celles des colonies françaises, elles-mêmes à l’exemple de celles du moyen-âge français, se retrouvent dotées de deux monnaies, dont la monnaie circulante représentant la seconde monnaie du Roi, l’écu, et dénommée franc CFA dans les colonies puis dans les pays après l’indépendance des colonies, alors que la première monnaie qui donne naissance à ce Franc CFA circule en France.
Malheureusement, ces économistes, à l’image de l’unijambiste qui ne peut se séparer de sa béquille, considèrent que cette seconde monnaie du Roi est exclusivement celle des pays africains indépendants et que le franc, la première monnaie, dont ils ignorent le rôle de support qu’il joue pour la seconde monnaie, est exclusivement celle de la France.
Ces économistes, préférant ignorer que le Franc CFA, correspondant à la seconde monnaie du Roi, a été conçu pour des pays alors qu’ils n’avaient pas d’existence juridique autonome, font semblant de se retrouver avec deux groupes de pays, chacun étant doté de sa monnaie unique, se permettant ainsi de décider de dévaluer l’une des deux monnaies par rapport à l’autre.
Malencontreusement, sans disposer d’aucun moyen de douter de sa faisabilité, ces économistes ignorent que cette décision de dévaluation, qui ne correspond qu’à la mesure de financement facile du Trésor Royal malgré l’absence d’un Roi, constitue une mesure de dépréciation monétaire que l’on sait catastrophique suite aux résultats de l’étude réalisée par N. Copernic, car pire que la mort, la discorde et la stérilité des terres.
Nous montrons qu’en plus de tous ces maux et insuffisances, la mesure est également illicite. En effet, cette pratique aura consisté à fabriquer un nouvel instrument de mesure (de la valeur) plus petit que le précédent qui aura été refondu afin de fabriquer le nouvel écu et d’enrichir en même temps le Roi.
Une telle pratique qui constitue une diminution des poids et mesures pratiquée en économie est une pratique de fraude, interdite dans toutes les cultures, et reconnue comme telle dans les pratiques auxquelles nous sommes habitués à travers les mesures de volume ou de masse ou encore avec des balances et que toute logique humaine répugnerait à mettre en œuvre. Dans le cas présent, la répugnance devra être d’autant plus forte que les effets destructeurs de cette fraude sur la valeur, pires que la mort, la discorde et la stérilité des terres sont profonds et permanents.
En résumé, la manipulation opérée par le Roi correspond à la fabrication d’un nouveau numéraire plus petit que le précédent qui aura été remplacé par un numéraire plus petit tout en gardant l’appellation première désignant le grand numéraire. C’est cette substitution frauduleuse du petit numéraire au grand qui fait gagner au Roi l’écart de métal produit sur chaque écu refrappé. Sur l’ensemble de la masse monétaire en circulation, le gain du Roi est vraiment énorme et traduit d’autant l’appauvrissement de la population qui se trouve victime du transfert négatif de ses ressources monétaires en faveur du Roi.
Par conséquent, en choisissant dans l’économie un numéraire plus petit pour exprimer les prix, les nouveaux prix, devaient mécaniquement augmenter pour exprimer les anciens prix sur une base d’équivalence.
Cependant, du fait du gain illicite prélevé sur chaque écu et de l’appauvrissement de la population qui se sera ensuivi, la hausse des prix sera insuffisante pour établir l’équivalence avec les anciens prix. Il y aura donc une baisse des prix manifestée par une hausse insuffisante des prix, entrainant l’économie à fonctionner globalement à perte. On ne saurait, en effet, retirer l’argent de la circulation et assister à une hausse des prix sans remettre en cause la théorie quantitative de la monnaie.
Sans disposer d’une théorie conséquente, la hausse apparente des prix est le constat qui apparaît dans les reportages historiques à la suite de la manipulation faite par le Roi. Or, une telle hausse ne résiste pas à l’analyse étant donné que l’objectif affiché par le Roi, à la suite de la manipulation opérée, était de dessaisir la population de ses ressources monétaires.
Par conséquent, le présent article révèle ici la nécessité d’élaborer une théorie de la mesure au sein de la discipline économique afin d’établir clairement et avec précision les faits en devenant ainsi capables de désigner avec précision ce qui constitue l’objet de la discipline économique, la caractéristique de cet objet sur laquelle porte la mesure, ce qui sert d’instruments de mesure dans cette discipline ainsi que les règles, principes et comportements à observer strictement afin de respecter les droits des agents.
C’est ainsi qu’il apparaît clairement que le Roi et ses conseils avaient découvert l’utilisation concrète de deux fonctions de l’instrument de mesure dans une économie, à savoir la fonction d’étalon ou d’unité de compte jouée par la Livre Tournois et la fonction de numéraire ou d’instrument de mesure, jouée par l’écu. Le mécanisme du gain, mis en œuvre pour le Roi, résulte en réalité d’une pratique frauduleuse fondé sur la diminution des poids et mesures en économie. Cependant, les conséquences socio-économiques sont désastreuses, comme cela ressort des conclusions de l’étude de N. Copernic.
De plus, ils ne savent que l’application du décret faisant disparaître dans les faits la Livre Tournois et l’écu et conduisant à une situation de monnaie unique est un leurre qui ne correspond à aucune réalité économique.
En effet, la Livre Tournois, bien comprise, ne représente que le nom désignant l’étalon. Aucun texte ne peut faire disparaître la nécessité de désigner l’étalon dans un système de mesure et donc d’échanges.
De plus, le Franc qui est reconnu dans les textes et dans les faits ne représente que la matérialisation de cet étalon. Il représente pour la Livre Tournois ce que représente le prototype du mètre pour la définition de cet étalon de mesure dans le système métrique.
En ce qui concerne l’écu, il représente une unité usuelle de mesure tout comme un pays peut adopter une unité de mesure dont la longueur est différente de l’étalon, soit un multiple de celui-ci ou un sous- multiple. Par conséquent, aucun texte ne peut interdire l’existence d’un tel instrument.
Il revient, qu’en réalité, ce décret est nul et sans effet sur les instruments qu’il est censé interdire ou autoriser, la pratique de la mesure reposant sur une théorie et un fondement dont la logique reste indépendante d’une simple volonté d’interférence des autorités pour s’enrichir au détriment des populations.
Par conséquent, ce décret a fini de plonger la théorie économique dans une impasse profonde dont elle ne sera pas capable de se relever tant qu’elle n’aura pas fini de l’analyser aux seules fins d’en rejeter définitivement les termes. On ne saurait empêcher de désigner le feu par le seul fait qu’il a ravagé le palais royal.
Il est donc intéressant de constater que l’Economie scientifique permet de mieux expliquer le comportement du Roi et de ses conseils et de comprendre que les économistes issus de l’ère moderne, avec leur hypothèse de travail de monnaie unique, se sont rendus incapables de distinguer les fonctions d’unité de compte et de numéraire sans lesquelles ils ne peuvent pas savoir ce qui est mesuré en économie et ce qui sert d’instrument de mesure. Par conséquent, ils ignorent tout de ce qui peut représenter une diminution de poids et mesures.
Par conséquent, loin d’être en avance sur le Roi et ses conseillers, ces économistes sont au contraire largement en retard sur leurs prédécesseurs du moyen-âge qui savaient au moins enrichir leur Roi, alors qu’aujourd’hui ces économistes modernes appauvrissent les populations, notamment celles des pays africains de la zone franc, alors qu’ils sont censés les protéger dans le cadre de ce mouvement de démocratie souhaitée à l’échelle mondiale.
De plus, ces économistes arrivent à imposer, dans le cadre de cet appauvrissement des populations, un mauvais décompte de la valeur des patrimoines dans l’économie, des revenus courants et des investissements en provoquant la destruction systématique d’une bonne partie de la valeur de ces agrégats.
Ce faisant, sans le savoir, ils prendront une mesure qui sacrifie donc le passé, le présent et l’avenir dans ces pays, en livrant cette jeunesse africaine victime aux dangers de la méditerranée, une situation que les pleurs ne pourront jamais arrêter, lorsqu’on sait depuis N. Copernic, que la dépréciation monétaire est pire que la mort.
L’Economie scientifique a établi des alternatives à ce génocide économique pour développer l’emploi et relancer la compétitivité économique dans ces pays et même dans le monde entier. Qu’est-ce qui peut donc empêcher d’adopter ces initiatives, qui de surcroît ne coûtent pourtant rien, si ce n’est une impunité dont semblent bénéficier les auteurs de crimes commis contre de pauvres citoyens.
Dr Lamine KEITA
[1] L.WALRAS, « Eléments d’Economie politique », Tome VIII, Economica, p. 556, cité par L. KEITA, 2002, p.58,
[2] C. SCHMIDT, « La sémantique en question », Calmann Lévy, 1985, p. 11, cité par L. KEITA, 2003, p.22.
[3] Conférer Lamine KEITA, « La Théorie Economique du XXIème – Le Concept de mesure en Economie », L’Harmattan, 2002.