Planification familiale: génération «no pilule » ?
Accueilli comme une libération il y a soixante ans, le contraceptif oral n’aurait pas plus les faveurs des jeunes femmes. Comment l’expliquer? Lisez l’enquête du magazine français Elle….
Peut-on parler d’une génération «No pilule» ? Sabrina Debusquat en est persuadée. Trentenaire, journaliste et blogueuse santé, elle a arrêté la pilule au bout de dix ans. À partir de ses recherches sur ses effets secondaires et sur les contraceptions alternatives, elle a écrit un livre (à paraître le 6 septembre) pour « toutes celles, de plus en plus nombreuses, qui s’en détournent ». Un réquisitoire. En ne présentant que des études à charge contre les hormones synthétiques, elle dresse un tableau terrifiant : la pilule serait la cause « de véritables épidémies de pathologies », telles que le cancer du sein, l’endométriose, l’ostéoporose, la dépression, l’épilepsie et même des allergies alimentaires…
« On ne peut pas informer en jouant sur la peur »
Ses conclusions risquent de faire polémique. Martin Winckler, écrivain, ancien médecin et vigie en matière de contraception, devait préfacer son livre. Il a renoncé en raison de son «manque de rigueur scientifique » et d’un désaccord éthique : « On ne peut pas informer en jouant sur la peur, qui paralyse la pensée, explique-t-il. Sabrina Debusquat ne met l’accent que sur les risques, sans informer sur les bénéfices.» Pour une adolescente qui connaîtrait mal ses cycles et ne serait pas en couple, « la pilule peut être la meilleure solution. Et ce n’est pas parce qu’elle va la prendre quelques années qu’elle risque des maladies graves» poursuit-il. Il tient à rappeler que, concernant le cancer du sein, « la seule étude fiable montre que la potentialité d’en développer un lorsqu’on prend une pilule oestrogestative jusqu’à 35 ans diffère peu par rapport à une femme qui n’en prend pas ».
La pilule reste le premier moyen de contraception
Le livre de Sabrina Debusquat n’en est pas moins emblématique d’un désamour de la pilule. Les résultats du sondage exclusif commandé par ELLE à l’Ifop* confirment cette tendance enregistrée depuis le début des années 2000. Si la pilule reste le premier moyen de contraception (34 %), avec un taux de satisfaction énorme (81 %), d’autres progressent. Le stérilet au cuivre séduit 12 % des femmes qui utilisent un contraceptif, devant les dispositifs hormonaux, dont Mirena, mis en cause pour ses effets secondaires. Près d’une femme sur dix est revenue aux méthodes naturelles (surveillance du cycle menstruel, retrait…), marginales à la fin des années 1990. Quant au préservatif, bien que désavoué par les 15-24 ans, chez qui on observe une recrudescence des MST, il apparaît comme le deuxième moyen de contraception, après la pilule et avant le stérilet.
« Vous êtes jeune, la pilule est parfaite pour vous. »
«On voit effectivement un retour du préservatif, mais au sein du couple, entre des partenaires qui se connaissent bien, souvent vers 35-45 ans, note Elisabeth Paganelli, secrétaire générale du Syndicat national des gynécologues et obstétriciens français (Syngof). Ils en font leur seul contraceptif, ou l’associent à des méthodes de surveillance du cycle, alors que les jeunes, qui ont davantage de partenaires, ne se protègent pas assez. » En réalité, la « capote » est choisie pour des raisons de facilité (pas besoin de prescription). Ou bien faute d’alternative. Comme pour Lucie, 23 ans, qui refuse toute contraception hormonale et dont le petit ami rechignait à enfiler un préservatif. Elle s’est vu asséner par une gynéco : « Mademoiselle, il est hors de question que je vous pose un stérilet, car vous n’avez pas eu d’enfant. Vous êtes jeune, la pilule est parfaite pour vous.» Depuis 2004, la Haute Autorité de santé estime pourtant qu’il n’y a aucun risque à poser un stérilet aux nullipares à partir de l’âge de 20 ans.
75 % des sondées estiment que la pilule peut provoquer des problèmes de santé.
Signe de ces changements, observés dans les cabinets de gynéco, les patientes ne connaissent plus la date de leurs dernières règles. Mais leur téléphone, oui, grâce aux applis qui aident à calculer les cycles. Certaines surveillent leurs ovulations avec des appareils de monitoring coûteux. D’autres prennent leur température tous les matins. « On voit bien que le problème n’est pas la contrainte liée à la pilule, mais le choix éclairé de sa contraception. Certaines méthodes naturelles combinées peuvent être relativement efficaces, à condition d’être hyper motivée. Mais le risque d’une grossesse n’est pas écarté », estime Elisabeth Paganelli. Quant au partage de la charge contraceptive dans le couple, il est loin d’être une réalité : selon notre sondage Ifop, il n’est un argument que pour 2 % des femmes dans le refus ou l’arrêt de la pilule. Si 49 % des femmes interrogées trouvent la pilule contraignante, et si 75 % d’entre elles se disent conscientes de risques pour leur santé, 81 % de celles qui la prennent n’envisagent pas de changer de contraceptif.
44% de celles qui ne souhaitent plus prendre un contraceptif hormonal le justifient par le ras-le-bol des effets secondaires.
La pilule est remboursée, elle permet d’avoir des règles régulières voire pas de règles du tout, réduit le syndrome prémenstruel, permet de ne pas dépendre de son partenaire et est l’un des moyens les plus sûrs d’éviter une grossesse non désirée. Mais il y a bien un effet de génération : « Dans les années 1970 et 1980, les femmes modernes devaient prendre la pilule et le revendiquer, se souvient la gynécologue. Aujourd’hui, il faut remettre en cause les tampons et refuser les hormones… » Selon notre sondage Ifop, 15 % des femmes interrogées motivent en effet leur décision d’arrêter la pilule (ou de ne pas la prendre) par le rejet d’un contraceptif hormonal. La première raison de ce rejet ? 44 % en ont assez des effets secondaires (prise de poids, acné, migraines…).
15 % des sondées motivent leur décision de ne pas ou plus prendre la pilule par le refus d’un contraceptif hormonal.
La volonté d’un rapport au corps – et à l’environnement – plus « naturel » a émergé vers 2010. Et s’est amplifiée en 2012 avec la crise des pilules 3e et 4e génération, trop souvent prescrites malgré le risque (rare) de thrombose. « Ce désaveu s’inscrit dans un mouvement socio-politique beaucoup plus large, qui se retrouve dans les attitudes face aux vaccins, confirme Nathalie Bajos, spécialiste des comportements sexuels des Français. Pour autant cette défiance vis-à-vis des hormones est démesurée. » Elle rappelle que la pilule est associée à une faible augmentation du cancer du col de l’utérus, et insiste sur le fait qu’elle réduit le risque de cancer des ovaires et de l’endomètre et estime qu’elle n’a pas d’effet sur le cancer du sein, quand une contraception moins efficace fait courir le risque d’une IVG.
« Chacune doit pouvoir choisir, avec toutes les informations en main »
La question des effets secondaires et l’impression de ne pas être entendue sont toutefois essentielles. « Pourquoi tant de femmes disent-elles que leur médecin ne les croit pas ? interpelle Martin Winckler. Il ne s’agit pas de croire ou de ne pas croire. Dès qu’une contraception ne convient pas, il faut en proposer une autre. Il est rare qu’une patiente ait vraiment tout essayé. On peut avoir pris une pilule ou un stérilet qui ne convenait pas à 25 ans et en trouver à 35, 40 ou 45 ans qui convienne.» Quant aux méthodes naturelles, c’est un choix « aussi respectable que n’importe quel autre, assure l’ancien médecin. Les différents moyens de contraception ne s’excluent pas, ils s’ajoutent. C’est comme si on disait que faire du vélo est un retour en arrière puisqu’on a la voiture. Chacune doit pouvoir choisir, avec toutes les informations en main ». C’est ça, la liberté des femmes.
* sondage ifop pour elle « les femmes et leur contraception ». Enquête auprès d’un échantillon de 902 femmes, représentatif de la population française féminine âgée de 15 ans et plus, par questionnaire en ligne du 17 au 21 juillet 2017.
Les 25-34 ans les plus méfiantes
Si la plupart des jeunes filles entrent dans la contraception par le préservatif puis passent à la pilule, les 25-34 ans jugent ce contraceptif oral plus sévèrement que leurs aînées, héritières directes du combat pour sa légalisation. seules 79 % des jeunes femmes (contre 89 % des plus de 35 ans) y voient un facteur d’épanouissement dans leur sexualité. près de la moitié d’entre elles la prennent, mais elles la trouvent contraignante (à 60 %) et dangereuse pour la santé (80 %). ce sont aussi ces femmes qui justifient le plus le fait d’envisager d’arrêter de la prendre (ou de l’avoir arrêtée) par leur refus d’absorber des hormones synthétiques (34 %). lorsqu’elles choisissent un stérilet (11 %), la majorité d’entre elles (9 %) privilégient le Diu au cuivre sans hormones. sinon, elles recourent au préservatif (23 %), seul ou combiné à des méthodes comme la prise de température ou la surveillance du cycle (6 %) afin d’éviter les rapports non protégés pendant la période de fertilité.
Quel mode de contraception utilisez-vous ?
- la pilule (34 %).
- le préservatif (31 %).
- le stérilet (20 %, Dont 12 % pour le Diu au cuivre).
- les méthodes naturelles (9 %) : températures et cycle (5 %) et retrait (4 %).
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