Science et Société

Le Mali pourrait fabriquer des bananes transgéniques pour prévenir et guérir le paludisme

Des scientifiques maliens développent, depuis 2017, des bananes génétiquement modifiées dont la consommation permettrait de prévenir et guérir du paludisme.

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Sur l’un des trottoirs de Bamako, Louise, une dame d’une trentaine d’années, déguste une banane douce. Pourquoi ? « Ce fruit apporte à l’organisme de l’énergie et des vitamines C », glisse-t-elle dans un sourire. Elle ne s’imaginait pas que cette banane qui sert de dessert, pourrait aussi bientôt soigner le paludisme. Une maladie qui a fait au Mali en 2018, environ 2,6 millions de cas et provoqué la mort d’au moins 1 000 personnes, selon le dernier rapport de l’enquête démographique de la santé (EDS6).

« Peut-on réellement combattre le paludisme avec des bananes ? » interroge Louise dans un grand étonnement. « Comment seront ces bananes ? Combien faut-il en manger ? »  insiste-t-elle. 

« Oui, la banane pourrait un jour guérir le paludisme dans sa forme simple », assure le pharmacien biologiste, Ousmane Koïta, 62 ans, responsable du laboratoire de biologie moléculaire appliquée (LBMA), de l’Université des sciences, des techniques et technologies de Bamako.

Il est le chef d’une équipe de chercheurs qui veut transférer dans le bananier, les gènes d’une plante médicinale utilisée par les populations locales pour soigner les malades du paludisme en Afrique de l’Ouest. Cette plante, haute d’une dizaine de mètres avec de nombreuses tiges, est le Mitragyna inermis, aussi appelée « djun » en langue bambara. Au  Mali,  le  décocté  des  feuilles  est  utilisé  pour  faire baisser la fièvre et stimuler l’activité psychique. Les Sénégalais utilisent les racines en décoction contre le paludisme.

Dr Cheiknan Zongo, de l’université Joseph Ki-Zerbo au Burkina Faso, explique dans son étude publiée en mai 2011, que certains composés extraits des feuilles du Mitragyna inermis, ont un effet contre le Plasmodium falciparum, un parasite transmis par le moustique, responsable du paludisme chez l’être humain.

Mitragyna inermis –  © Djah François Malan  

« Des études scientifiques menées ici au Mali, avec des collègues chercheurs de Marseille en France, ont démontré que le Mitragyna inermis a une activité antipaludique », expose le professeur Rokia Sanogo, chef du département de médecine traditionnelle de l’Institut national de santé public du Mali. Toutefois, la chercheuse précise que « son efficacité dans la banane reste encore à prouver ».

Le professeur Ousmane Koïta espère le prouver d’ici la fin des cinq années que doit durer le projet. Son équipe étudie actuellement les gènes du Mitragyna inermis pour savoir si les fragments d’ADN qui expriment les protéines antipaludiques peuvent être intégrés au génome du bananier. Cette phase qui devait prendre fin dans le premier trimestre de 2020 a été ralentie, par l’apparition de la Covid-19 et par des difficultés techniques lors de l’assemblage des gènes.

Ainsi, à ce stade de l’étude, « on ne peut pas encore déterminer combien de bananes il faut consommer pour guérir du paludisme », précise Ousmane Koïta. Les chercheurs n’apportent pas non plus encore de réponse précise concernant le goût de la banane après transfert de l’ADN de la plante.

Cependant, pour Abdoulaye Djimdé, responsable du Centre de recherche et de formation sur le paludisme (MRTC-Parasito) à Bamako, cette recherche donnera « de meilleurs résultats ». « Leur approche est plausible », confirme ce chercheur indépendant. « On peut cloner le gène d’une plante qui aura une fonction de médicament, puis le transférer à des aliments qui peuvent être consommés. Dans ce cas particulier au Mali, la banane va juste servir de vecteur », explique Djimdé.

Vendue le long des rues de Bamako par des vendeuses ambulantes, la banane douce s’achète à 500 ou 600 FCFA/kilogramme. Sa consommation s’étend à toutes les couches sociales, et les bananiers se retrouvent dans presque tous les pays d’Afrique subsaharienne.

« Le bananier a été choisi parce qu’il se multiplie rapidement grâce aux nouvelles pousses qui se forment à partir des racines de la tige principale. La population n’aura donc pas besoin d’acheter les semences », note Abdoulaye Sidibé, spécialiste en biotechnologie végétale et co-chercheur du projet.

Aujourd’hui, « tous les antipaludiques existants ne sont pas gratuits », clarifie Ousmane Koïta, « ils sont payés par l’État malien et ses partenaires techniques et financiers dans la lutte contre le paludisme. Donc si nous réussissons avec cette technologie, le Mali ne dépendra plus de l’extérieur pour une maladie endémique comme le paludisme ».

De même, aux dires des chercheurs, ce projet augmenterait l’amplitude du couvert végétal malien grâce à des plantations à grande échelle de ce bananier. Il donnerait aussi naissance à des start-up spécialisées dans la culture des bananiers transgéniques. Toutefois, avant que le produit final ne soit mis sur le marché, des études d’impact environnemental menées par le Comité national de biosécurité du Mali évalueront le risque pour la biodiversité.

Le projet nécessite un investissement global de 185 millions FCFA. Cependant, Ousmane Koïta et son équipe ont jusque-là seulement pu obtenir 13 millions FCFA octroyés par l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI). « Cette somme a été remise au laboratoire LMBA à l’issue d’un concours organisé par l’OAPI », se souvient Sountou Diawara, l’ex-dirigeante du Centre malien de promotion de la propriété industrielle. 

Les chercheurs ont soumis le projet deux fois de suite, pour un financement additionnel au Fonds compétitif pour la recherche et l’innovation technologique (FCRIT) instauré par le gouvernement malien. Ce fonds destiné à la recherche est alimenté par une subvention fixée à 0,2% des recettes fiscales.  Mais les chercheurs n’ont rien obtenu.

Pour comprendre les raisons du rejet du projet, nous avons approché les autorités en charge du FCRIT. Mais celles-ci n’ont donné aucune suite à notre demande. L’un des chercheurs de l’équipe du Pr Koïta, le professeur Amidou Doucouré est aussi membre du comité scientifique du FCRIT. Il n’a pas été associé à la décision en raison de sa position. « Généralement, c’est le manque de pertinence d’un projet qui justifie son rejet », explique-t-il, « mais dans ce cas particulier, le projet était vraiment bien élaboré pour avoir le soutien du FCRIT ».

Mardochée BOLI

Crédit photo d’illustration: Adobe Isock

Cet article a été rédigé par le Journal Scientifique et Technique du Mali  (JSTM) dans le cadre de “Réaliser des reportages sur le paludisme”, un programme de développement des compétences médias mené par la Fondation Thomson Reuters. La Fondation Thomson Reuters n’est pas responsable du contenu publié, celui-ci relevant exclusivement de la responsabilité de l’éditeur et de l’auteur.

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