La présidente de l’ASFI plaide pour une législation renforcée sur la santé reproductive et la prévention des avortements clandestins
La présidente de l’Association des sages-femmes ivoiriennes (ASFI), Diallo Awa épouse Yao appelle à une loi sur la santé reproductive incluant pleinement les sages-femmes pour prévenir les avortements clandestins et encourager les jeunes filles à consulter dans des structures médicales. S’exprimant jeudi 29 août 2024 lors d’une interview à Abidjan, elle souligne l’importance d’une telle législation pour améliorer les conditions de travail des sages-femmes et la qualité des soins apportés aux femmes en Côte d’Ivoire.
Quelle est la place de la santé de la reproduction dans le combat mené par l’ASFI ?
La santé de la reproduction est au cœur de notre travail. Elle englobe tout ce qui concerne la santé physique, mentale et sexuelle des femmes, y compris les aspects liés à la grossesse, l’accouchement, et la contraception. Notre rôle est de promouvoir et de protéger ce bien-être pour toutes les femmes.
Quelles sont les difficultés rencontrées par les sages-femmes dans cette mission de promotion et de protection pour le bien-être des femmes ?
Nous rencontrons de nombreux problèmes, tels que les complications liées à la grossesse et à l’accouchement, les avortements clandestins utilisant des produits non sûrs, et les infections qui affectent la fertilité, comme les IST, le VIH, et l’hépatite. De plus, la violence contre les femmes est une autre difficulté. Nous devons souvent témoigner dans des cas de violences physiques ou sexuelles. Nous gérons également des tensions au sein des couples concernant les décisions de santé reproductive.
Pensez-vous qu’une loi sur la santé de la reproduction pourrait atténuer toutes ces difficultés ?
Oui, une telle loi est indispensable. Travailler sans cadre légal clair expose à de nombreux risques. Une loi permettrait de structurer nos actions et de protéger les sages-femmes qui s’engagent pour sauver des vies. Sans réglementation précise, il est difficile de fournir des soins adéquats dans un environnement où chacun prétend connaître ses droits.
Quels pourraient être précisément les avantages d’une telle loi pour les sages-femmes ?
Cette loi permettrait de renforcer notre profession en encadrant nos pratiques, surtout en matière de santé sexuelle et reproductive. Elle protégerait les femmes et garantirait leur droit à prendre des décisions en matière de contraception sans influence extérieure. Par exemple une jeune fille qui souhaiterait adopter une méthode contraceptive pourrait le faire sans que sa décision ne soit contestée par ses parents.
Y-a-t-il aussi des enjeux pour votre corporation ?
Le principal enjeu est notre protection légale dans nos pratiques de soins. Avec une loi, nous aurions un cadre qui encadre notre intervention dans la santé sexuelle. Par exemple, la récente reconnaissance de l’aspiration manuelle intra-utérine (AMU) pour les sages-femmes est un pas en avant, mais il faut aller plus loin pour permettre d’intervenir dans des situations critiques tout en étant protégées par la loi. Une telle loi nous donnerait plus de marge de manœuvre et offrirait aux femmes la liberté de choisir les soins qu’elles souhaitent. Cela réduirait aussi la peur des femmes à se rendre à l’hôpital pour des problèmes de santé reproductive. Une loi claire et ouverte permettrait également de convaincre davantage de jeunes filles à venir se faire soigner, ce qui diminuerait le recours aux méthodes non sûres et à l’avortement non sécurisés.
Sur les sept conditions que proposent l’accord de Maputo pour faire un avortement sécurisé, la Côte d’Ivoire a pris en compte trois conditions à savoir le viol, l’inceste et les dangers liés à la santé mentale ou physique de la mère, êtes-vous favorable à un élargissement du champ d’application du process ?
Oui, tout ce qui contribue à la santé de la mère et à la réduction de la mortalité est favorable. Une législation élargie permettrait de prévenir les avortements clandestins et d’encourager les jeunes filles à se faire consulter dans des hôpitaux. L’éducation parentale est également importante pour aider les jeunes à comprendre les risques liés à la sexualité et à la reproduction.
Comment cette loi pourrait-elle contribuer à la réduction de la mortalité maternelle et infantile en Côte d’Ivoire ?
Elle permettrait de réduire les avortements clandestins en offrant un cadre sécurisé pour les femmes. De plus, elle éviterait des situations extrêmes où des jeunes filles, par exemple, victimes de violences, ne trouvent pas d’autre solution que le suicide ou des pratiques dangereuses. Une loi claire et protectrice serait un soutien crucial pour prévenir de tels drames.
Comment cela pourra se faire concrètement ?
Si un cadre légal sécurisé existe pour la jeune fille, lorsqu’elle remarque un retard de ses règles, elle pourrait se rendre à l’hôpital sans crainte. Une telle loi permettrait aux jeunes filles de s’exprimer librement, et le personnel de santé pourrait déterminer ce qui est normal ou non. Par exemple, on pourrait lui dire par exemple que tu es enceinte, et bien que tu ne désires pas cette grossesse, la loi ne te permet pas de l’interrompre. Cependant, des assistantes sociales pourront t’accompagner et te soutenir.
Ici nous parlons d’avortement sécurisé…
Lorsqu’on parle d’avortement sûr et sécurisé, il ne s’agit pas seulement de pratiquer l’acte, mais aussi d’aider les jeunes filles à poursuivre leur grossesse jusqu’à terme, si possible. De nombreuses femmes ont été accompagnées pour mener à bien leur grossesse, puis ont été mises sous contraception pour choisir le moment de leur prochaine grossesse. Cela permettrait de réduire le nombre d’avortements et d’augmenter le taux de prévalence contraceptive.
Aujourd’hui, certaines prennent des médicaments après chaque avortement, ce qui peut endommager leur santé. Si elles avaient accès à des conseils appropriés et à des méthodes contraceptives dès la première consultation, cela réduirait les avortements et préserverait leur santé. Certaines jeunes filles utilisent des pilules chaque mois pour avorter. Pourtant, si elles pouvaient consulter une sage-femme en toute confidentialité, elles pourraient se voir proposer des méthodes contraceptives adaptées à leur situation.
Quel impact cette loi aurait-elle sur les femmes, notamment celles vivant en zone rurale ou marginalisée ?
Elle offrirait à toutes les femmes, y compris celles en zones rurales, l’égalité d’accès aux soins de santé. Cela permettrait de réduire les barrières culturelles et familiales qui freinent souvent les femmes dans leur accès aux soins, leur offrant ainsi une plus grande autonomie en matière de santé reproductive.
Avez-vous des suggestions sur la manière dont les sages-femmes pourraient être impliquées dans la sensibilisation et l’éducation sur la santé de la reproduction ?
Les sages-femmes doivent collaborer avec la société civile et participer aux campagnes de sensibilisation. Nous sommes déjà impliquées dans plusieurs initiatives avec d’autres professionnels, comme les femmes juristes, pour échanger et faire avancer le débat sur cette loi.
L’ASFI travaille déjà avec des organisations de la société civile et fait partie de plateformes comme celle de la Société de gynécologie de Côte d’Ivoire (SOGOCI). Nous participons à des plaidoyers et collaborons avec des organisations comme l’ODAS pour promouvoir l’avortement sécurisé.
Source : AIP