IL Y A 200 ANS, LE VÉLO DÉTRÔNAIT LE CHEVAL
Né en 1817, le cycle aura mis moins d’un siècle pour s’imposer. Une réussite exceptionnelle, qui tint autant de l’aventure humaine que de l’évolution de la société.
Le 12 juin 1817, dans sa résidence bavaroise, le baron allemand Karl Friedrich Drais bat au chrono la malle-poste sur un parcours de 14 kilomètres ! Or, l’idée qu’un homme puisse rivaliser de vitesse avec un cheval grâce à une machine relève, à l’époque, de l’exploit technique. D’où l’engouement des Parisiens aisés, férus, hier comme aujourd’hui du dernier cri technologique.
Le 5 avril 1818, ils sont plus de 3500 à se presser au jardin du Luxembourg pour découvrir une drôle de machine : un deux-roues se déplaçant avec la poussée des jambes sur le sol (en image), qui sera bientôt appelé la draisienne, en référence à son inventeur le baron Drais. De Vienne à Londres, toute l’Europe s’entiche de cette byciclette préhistorique. Car pour posséder un cheval, il faut 40 livres à l’achat de la monture, et 40 autres pour son entretien, quand la draisienne ne coûte que 10 livres.
Cette machine était toutefois vouée à l’échec. Malgré tous les raffinements introduits par le baron — voile en cas de vent favorable, lanterne, ombrelle et parapluie !— la draisienne était trop lourde (40 kg) et, sur les chemins chaotiques de l’époque, un vrai tapecul, dont les nobles vont vite se lasser. Mais elle aura fait naître un engouement pour ces machines à propulsion humaine qui ne se démentira plus pendant les soixante-dix ans à venir.
En 1861, une nouvelle fièvre s’amorce, encore plus populaire : celle du bicycle. Cette année-là, l’histoire veut que les Michaux père et fils, des artisans qui tenaient un atelier de réparation de “voitures” à Paris, avenue Montaigne, aient reçu un vélocipède à réparer. L’enfourchant, le fils se serait plaint de ne pouvoir reposer ses pieds pendant les descentes. De là serait née l’idée de mettre des cales fixes, puis des cales au bout de manivelles sur la roue avant. La pédale était née, et avec elle la michaudine (ou michauline).
Plus légère que la draisienne, la michaudine n’était pas facile à manier
La technologie ne cessera plus d’évoluer. En 1867, le bicycle que les Michaux présentent à l’Exposition universelle de Paris, avec l’aide des frères Olivier, de riches ingénieurs, est équipé d’une selle réglable suspendue, avec un ressort à lame où le bâti en bois est remplacé par du fer forgé, plus léger (25 kg) et plus fin, à la ligne épurée. Le succès est foudroyant et, en 1868, une véritable industrie naît, emmenée par la Compagnie parisienne des vélocipèdes.
Pourtant, la michaudine n’est pas facile à maîtriser : très haute, il faut courir à côté pour sauter dessus, et tout de suite se mettre à pédaler pour garder son équilibre ! Ainsi, elle conquiert d’abord les manèges et les pistes dédiées ou vélocipédarium (notamment à Boulogne), puis gagne un public plus large quand les banlieusards viennent travailler dans la capitale en bicycle : de loisir, le vélo est devenu “pratique”.
A la même époque commencent les courses cyclistes : la première a lieu le 8 décembre 1867, entre les Champs-Elysées et le château de Versailles, avec une centaine d’engagés. Deux ans plus tard, le champion James Moore, britannique, remportera également le premier Paris-Rouen, sur une bécane équipée de roulements à bille sur le moyeu avant, et de bandages en caoutchouc autour des jantes, deux innovations que l’on doit à Clément Ader, futur pionnier de l’aviation.
En 1869, toutes les prémices du vélo moderne sont finalement là : changement de vitesses par engrenage, roues en tension avec rayons d’acier, tube de direction incliné pour plus de maniabilité de la roue avant… Il ne manque plus que la chaîne et le pneumatique. Qui ne seront inventés que des années plus tard, car en 1870, le conflit avec la Prusse met l’industrie française du vélo sur la touche.
Outre-Manche, les britanniques vont reprendre le flambeau, d’abord avec le gran-bi, à la roue avant démesurée, puis par le premier vélo à chaîne, le Safety, breveté par Harry John Lawson le 30 mars 1879. La touche finale sera apportée par John Boyd Dunlop, un vétérinaire de Belfast qui eut l’idée de rouler du caoutchouc en tuyau et de le gonfler pour le tricycle de son fils. En 1887, il dépose le brevet de son pneumatique. Dernière étape: le dérailleur, breveté en 1899 par l’Anglais Linley.
Au début du XXe siècle, la France compte 2,5 millions de bicyclettes, quand le 1er juillet 1903, à Villeneuve-Saint-Georges, le premier départ du Tour de France est donné… devant soixante cyclistes.
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