Science et Société

Quelle monnaie pour le développement des Pays africains de la Zone Franc ( Acte 5 et fin)

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Après avoir compris comment la monnaie a pu être utilisée pour asservir la population africaine de la zone franc et pour l’appauvrir, nous allons examiner comment la monnaie peut être conçue pour servir le développement efficace des populations à travers le monde.

Les principales constatations que nous avons relevées sur le Franc CFA ont été que le Franc CFA, simple numéraire, n’a besoin, en réalité, d’aucune convertibilité externe. En revanche, la monnaie qui a besoin de garantie est l’étalon que représente l’euro (ou le FF en son temps). De plus, le FCFA, simple instrument de mesure parmi tant d‘autres qui ont pu exister dans ces pays africains, ne peut faire l’objet d’aucun ajustement et surtout pas d’une mesure de dévaluation qui le réduirait à sa propre moitié, remplaçant ainsi un instrument de mesure par un autre plus petit et de même nom, ce qui constituerait une mesure suicidaire et prohibée dans toute civilisation humaine car représentant la diminution des poids et mesures en économie.

A l’expérience, quelles que soient les difficultés rencontrées, ces pays africains ont toujours su faire face aux échéances résultant de leurs échanges avec l’extérieur, tout en ayant eu à accorder à la France le bénéfice gratuit d’une bonne partie de leurs ressources externes financières qui pouvaient, de surcroît, leur être prêter aux conditions fixées par la France.

L’article mettra l’accent sur les instruments monétaires et leurs rôles dans l’économie pour montrer techniquement et avec précision, comment utiliser tel instrument pour atteindre un résultat précis et adéquat.

Nous avons vu que le Franc CFA est un numéraire destiné à mesurer la valeur des objets vendus sur le marché intérieur des pays africains de la zone franc. Ce rôle n’exige pas que cette monnaie circule à l’extérieur de ces pays utilisateurs. C’est pourquoi nous avons vu que l’idée de convertibilité externe du Franc CFA est en réalité une fausse idée qui ne constitue en réalité qu’un simple prétexte pour geler les devises des pays africains de la zone franc au profit de la France qui aura su leur vendre une idée ne correspondant à aucune réalité utile. C’est pourquoi il est tout à fait inutile de consacrer des efforts financiers pour défendre quelque chose qui n’existe, notamment la valeur extérieure d’une monnaie qui n’est utilisée, exclusivement, que localement dans les pays qui en sont utilisateurs.

Ainsi, pour consacrer ce caractère local d’une telle monnaie, il est opératoire de préciser, dans les textes administratifs et législatifs que la détention du Franc CFA en dehors des pays utilisateurs n’engage pas les pays utilisateurs, donc pas leur Banque Centrale. En revanche, les opérations externes de ces pays africains exigent de passer par les agents du système bancaire qui en sont chargés. Un tel dispositif correspond entièrement au statuquo dans les pays africains de la zone franc.

A l’analyse, nous savons que l’étalon des pays africains est aujourd’hui l’Euro (et anciennement le FF). Cependant, en considérant que chaque collectivité est dotée d’un étalon qui lui est spécifique, il est plutôt correct de doter ce groupe de pays africains d’un étalon qui lui est spécifique, et que nous appelons Cauris Africain noté (CA). Cependant, cet étalon qui est immatériel est pris comme étant équivalent en permanence à l’Euro.

Dans les prospectives, l’idée de création d’une monnaie commune aux pays de la CEDEAO fait son chemin en s’accommodant de l’hypothèse du choix du $ US comme l’étalon de ces pays.

En appliquant cette hypothèse aux pays utilisateurs du Franc CFA et en supposant qu’un euro équivaut à 1,24 $ US, soit 1 $ US = 0,8064516129 Euro, alors :

  • 1 CA = 1 $ US = 0,8064516129 Euro

Par conséquent, le $ US devient comme la représentation matérielle du CA. Il s’agit d’un rôle théorique qui a son importance.

Ainsi, ces pays africains qui seront preneurs du $ US  comme référence de leur étalon, n’ont aucune obligation particulière à respecter pour privilégier l’utilisation de cette monnaie sur le marché international. De plus, en le faisant, ils contribuent à soutenir son cours en augmentant sa demande sur les marchés monétaires et financiers

Par conséquent, ils n’ont aucune obligation à geler des ressources financières pour exécuter des ordres de paiements aux opérateurs étrangers qu’ils sont tenus de respecter comme ils l’ont toujours fait  dans le cadre des accords monétaires avec la France.

A l’intérieur de ces pays, considérons le numéraire africain (NA) qui va remplacer le FCFA et appelons-le NA, qui est identique au FCFA. On aura au départ du processus :

1 NA = 1 FCFA = 0,00152 Euro = 0,00152*1,24 $ US = 0,00188848 $ US = 0,00188848 CA.

Le Numéraire Africain (NA) aura donc un poids de 0,0018848 en quantité de l’étalon CA et qui est représenté par le même poids en quantité de $ US, c’est-à-dire 0,00188848 $ US.

Cette présentation est plus logique, car elle permet de comprendre qu’en termes d’instruments monétaires, ces pays utilisent un numéraire noté (NA) et un étalon (CA) immatériel mais représenté par $ US et qu’en termes de comparaison des instruments monétaires, il faut comparer l’étalon des pays africains (CA) à celui des USA, le $ US ou des pays européens, l’euro.

En revanche, le numéraire dans les pays africains, (NA), ne doit pas être comparé à l’étalon des autres pays, car il est un instrument de mesure interne de la valeur des objets au cours des échanges au sein de ces pays africains, un instrument choisi parmi une multitude d’autres instruments de mesure qui pourraient bien y exister.

Dans la réalité, nous allons examiner comment devra fonctionner le dispositif pour assurer le déroulement adéquat des échanges, nationaux et internationaux, qu’entretiennent ces pays africains utilisateurs du CA et du numéraire qui lui est lié.

Les recettes des exportations de ces pays enregistrées en $ US qui correspondront à une valeur équivalente de la richesse dans ces pays, c’est à-dire la même quantité de CA, pourraient ne pas être soumises à des frais de conversion (en CA) afin que leur montant exact soit conservé pour respecter rigoureusement, sur le territoire de ces pays africains, l’engagement d’un NA équivalent à 0,00188848 $ US = 0,00188848 CA.

En revanche, les recettes dans les autres devises, qui devront être converties en $ US pour connaitre leurs équivalences en quantité de richesse nationale, contiendront des frais de conversion; ce qui montrera une différence fondamentale et structurelle entre le $ US, support de l’étalon de ces pays africains, et les autres monnaies-devises en général.

Une fois que les recettes externes auront été collectées à la suite des ventes opérées par les opérateurs de ces pays africains, leur Banque centrale, comme toute autre Banque centrale, en assurera la gestion et fera également face au règlement des échéances courues sur la période.

Les opérations extérieures peuvent se révéler déficitaires ou excédentaires. Comme pour toute Banque centrale responsable, il sera nécessaire, pour la Banque Centrale de ces pays africains, de prévoir et trouver le financement du déficit des opérations externes et également d’envisager de fructifier les excédents externes en attendant des jours moins favorables.

Pour disposer de ses billets de banque auprès des populations, la Banque Centrale de ces pays africains saura, comme toute autre Banque centrale responsable et compétente, trouver les ressources et le cadre de collaboration appropriés pour disposer de la quantité de monnaie locale désirée en toute autonomie, à un moyen coût raisonnable. Cette collaboration fondée sur la recherche d’intérêts réciproques bien compris ne saurait être confondue à une pratique d’asservissement d’une des deux parties contractantes en faveur de l’autre.

Le système économique national utilisant plusieurs monnaies est une réalité scientifique et historique offrant des résultats concrets et qu’aucune théorie respectable ne peut ignorer. C’est pourquoi, l’idée de monnaie unique dans l’économie, défendue en Europe, cache encore beaucoup de mystères faussement attribués à la monnaie par l’incapacité de la théorie sous-jacente de discerner les propriétés de la monnaie et par conséquent d’être en mesure de distinguer une pratique interdite d’une pratique autorisée.

Ainsi, nous allons examiner les possibilités qu’offre pour ces pays africains une politique monétaire efficace, notamment pour faire face à un déficit extérieur chronique.

La dévaluation qui constitue une diminution de la valeur de l’étalon, en ce qui concerne le (CA), est en réalité une fausse idée car nous constatons clairement que cette monnaie (CA), outre  un rôle d’unité de compte dans la tenue des comptabilités, ne joue physiquement aucun autre rôle économique concret qui lui soit spécifique. Donc, ce n’est pas en le visant spécifiquement par une mesure quelconque que l’on pourrait provoquer une influence quelconque sur l’environnement économique.

De plus, le CA est pris comme étant égal en permanence au $ US, monnaie, qui, elle-même, n’a pas de valeur de référence déclarée. Par conséquent, il serait illusoire de vouloir un jour changer également une valeur de référence de cette monnaie pour la simple raison qu’elle n’en possède pas pour être dévaluée ou réévaluée.

Cependant, présentant une valeur d’échange avec les autres étalons étrangers sur les marchés internationaux, cette monnaie, le $ US, peut être dépréciée ou appréciée sur les marchés de change selon les performances relatives des économies des grands pays entre eux ou selon les humeurs déclenchées par leurs responsables politiques.

Par conséquent, toute idée de dévaluation du CA est à éviter totalement, car ne répondant à aucune réalité économique en dehors de quelque satisfaction morale de la part de penseurs qui auront le sentiment d’avoir tout simplement écoutés et suivis lorsqu’ils ont proposé cette mesure de dévaluation. Cependant, ces penseurs, dans l’ignorance de ce qui constitue la valeur elle-même, ne savent pas qu’ils auront été effectivement conduits à vouloir dévaluer quelque chose qui n’en a pas besoin.

En effet, depuis le 15 aout 1971, suite à la décision américaine de suspendre toute référence à l’or dans la définition du dollar, sans en proposer d’autre, toutes les grandes monnaies sont restées comme suspendues ou définies en un dollar, qui, lui, ne repose désormais sur aucune base concrète, plaçant le système monétaire mondial dans un flottement généralisé.[1]

Cependant, face à une détérioration de la compétitivité des pays utilisateurs de cette monnaie commune, le CA, et à un déficit extérieur structurel, que pourrait-on proposer comme politique de sortie de crise à ces pays africains ?

En cas de déficit structurel, des solutions rationnelles devront être développées dans ces pays pour éviter des rationnements quantitatifs ou autres ajustements financiers afin de porter l’économie de ces pays sur des sentiers de développement soutenables.

Dans ces conditions, il est illusoire et inopérant de vouloir faire reposer tout le poids des ajustements nécessaires sur la seule monnaie. Une telle idée provient en réalité d’une conception erronée de l’instrument monétaire pour lequel de nombreuses fausses idées, qui circulent, gardent encore la vie dure.

En revanche, la politique de création massive d’emploi, sans coût pour l’économie, consistant à assurer le partage des charges de production à des effectifs plus importants[2], trouve son importance en ce qu’elle permet de relancer la productivité globale de l’économie en même temps que la demande intérieure tout en faisant gagner des parts de marchés à l’extérieur.

Contrairement aux politiques d’ajustement structurel avec leurs restrictions budgétaires, fondées sur la diminution de l’emploi et de la demande intérieure, qui ont répandu, par leur échec, dans les pays africains la misère et la désintégration du tissu social, cette politique de création massive d’emploi est une forme de solidarité que l’utilisation intelligente de certaines propriétés de la monnaie permettent de créer, à travers la réduction du coût salarial sans affecter la demande négativement la demande interne, par la bonification de la création de l’emploi pour les entreprises et en faveur des ménages.

Par cette politique, totalement gagnante pour tout le monde, mise en œuvre sans avoir besoin de solliciter, auprès d’aucune institution, nationale ou internationale, aucun centime au titre d’un endettement public ou privé, non seulement la population se trouve gagnante, mais également l’entreprise, sans oublier l’Etat. De surcroît, le niveau d’endettement public et privé se trouvera réduit face à une capacité accrue des acteurs concernés par cette politique.

De plus, si des ressources supplémentaires étaient rendues disponibles pour l’investissement, la diminution du cout salarial constituerait un bonus supplémentaire en faveur de la création de l’emploi. En effet, par la création des conditions d’une substituabilité accrue du travail au capital, l’emploi augmenterait d’autant du fait d’une souplesse de l’emploi que les théories classiques n’ont jamais pu assurer pleinement.

En effet, ces théories, en partant de l’idée de la rigidité à la baisse du salaire nominal, d’ailleurs aujourd’hui largement mise à mal, ont créé les conditions qui empêchent le développement de l’emploi, faisant de celui-ci la variable d’ajustement dans ces politiques classiques et donnant lieu à l’accroissement du chômage et de la détresse au sein des populations.

C’est ainsi, qu’après avoir exigé et obtenu des baisses de salaires, ces théories ont aggravé la faiblesse de la demande interne, accélérant la récession et la désintégration des contrats sociaux en finissant par fragiliser l’emploi et généraliser la précarité. Ainsi, ces politiques ont, comme créé un besoin nouveau que les ONG, venues de partout, ont comblé, en y trouvant une occupation dans un cadre social dégradé.

Il apparaît clairement que ces théories d’ajustements se présentent comme ayant choisi de placer l’Homme au service de l’Economie et des indicateurs sociaux abstraits, alors que l’Economie devrait être mise au service de l’Homme. Tel est, en tous cas, l’objectif assigné à l’Economie Scientifique[3].

Dans ces conditions, il est facile, aujourd’hui, de comprendre pourquoi, partout à travers le monde, des mouvements sociaux violents et de grande ampleur accompagnent l’annonce des mesures prévoyant l’arrivée du FMI ou de la Banque mondiale dès que ces institutions sont sollicitées dans un pays.

En conclusion, au moyen de cette politique de création massive d’emplois, il y a encore de la place pour le progrès de la science économique, notamment à travers l’Economie scientifique. Cependant, avant d’y arriver, il faudrait certainement lever un défi, celui de faire comprendre les idées nouvelles, une difficulté qu’exprime éloquemment J.M Keynes, qui écrit, dans les premières pages de sa Théorie générale :

« La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, elle est d’échapper aux idées anciennes qui ont poussé leurs ramifications dans les recoins de l’esprit des personnes ayant reçu la même formation que la plupart d’entre nous. » J.M.KEYNES, 1935, « Théorie Générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie », p.b.p.

Pour finir, la présente contribution clôture les contributions que je me suis proposé de faire à l’attention de mes collègues économistes, pour qui je garde beaucoup de respect et d’amitié, liens qui ne devraient pas cependant souffrir des débats scientifiques conduits avec l’idée de permettre aux hommes et femmes, de par le monde, de vivre mieux sous le conseil des économistes.

Malgré tout ce qu’un tel sujet comporte comme charges émotionnelles, j’ose espérer être resté dans les strictes limites de l’analyse objective strictement portée sur des faits et des idées.

En l’absence de toute réaction de la part du Forum, je continuerai à respecter le courage de ces lecteurs anonymes qui souhaitent lire et passer inaperçus.

Dr Lamine KEITA, Contact : laminemacina@yahoo.fr

[1] Voir Lamine Keita, «  La Théorie économique du XXIème siècle – Le concept de mesure en économie »,  L’Harmattan, 2002, p. 100.

[2] Voir Lamine KEITA, « L’Economie scientifique au secours de l’emploi », L’Harmattan, 2016.

[3] Voir Lamine KEITA, « L’Economie scientifique au secours de l’emploi », L’Harmattan, 2016 et Voir Lamine KEITA, « L’Economie scientifique au secours des droits humains- Déconstruction de la zone franc », Publibook, 2017

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