Science et Société

Bamako: « les espèces locales de rongeurs ont quasiment disparu des maisons»

Une étude démarrée en octobre 2021 par une équipe de recherche de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) en partenariat avec l’Institut d’Economie Rurale (IER) du Mali va mettre en lumière les caractéristiques des rongeurs de Bamako et évaluer leur impact sur la santé de la population. Laurent Granjon, chercheur à l’IRD membre de l’équipe, fait un zoom sur ces rongeurs dans cet entretien qu’il a voulu accorder à JSTM.

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JSTM: Vous avez travaillé depuis plus de deux décennies sur des espèces de rongeurs dans les villes ouest-africaines. Quelles sont les espèces qu’on y rencontre ?

Laurent Granjon: Les rongeurs des villes africaines se répartissent en deux catégories : les rongeurs « natifs » originaires d’Afrique appelés aussi « indigènes » et les rongeurs « exotiques invasifs ». Dans cette dernière catégorie, on a des espèces qui sont arrivées il y a quelques centaines d’années environ sur les côtes ouest-africaines (pendant la période coloniale) et qui sont en train de gagner du terrain dans les villes de l’intérieur.

Est-ce les mêmes espèces qu’on retrouve à Bamako ?

A Bamako, nous avons commencé les travaux d’inventaire des rongeurs et autres petits mammifères depuis octobre 2021. On s’aperçoit que les espèces exotiques invasives ont pratiquement remplacé les espèces natives qui préexistaient. On trouve du coup principalement à Bamako la souris domestique, de très petite taille, appelée « Messi » au Mali, le rat noir et surtout le rat brun ou rat d’égout qui fréquente les collecteurs d’eaux usées de la ville mais entre aussi dans les cours des maisons. Ces trois espèces dominent largement le peuplement de petits mammifères de la ville de Bamako.

Comment s’est fait le remplacement des espèces indigènes par les espèces exotiques invasives à Bamako ?

Ce sont des processus qui se déroulent sur des temps plus ou moins longs mais qui semblent pouvoir aller très vite dans certains cas. Par exemple quand quelques souris domestiques arrivent dans un village, apportées dans les bagages ou les marchandises transportés par la route, il suffit théoriquement que quelques femelles gestantes s’installent et se reproduisent. Ensuite, par des processus qu’on connait finalement assez mal, de compétition avec les espèces locales, elle finit par les remplacer. Parmi les hypothèses avancées, l’espèce invasive (par exemple la souris domestique) peut être plus prolifique, ou plus agressive et dominer dans les affrontements directs les espèces locales, ou amener des parasites dont les espèces locales souffrent…

« Les espèces locales de rongeurs dans les communes du district de Bamako ont quasiment disparu des maisons. »

Dr Laurent Granjon, Chercheur à l’IRD

Les parasites dont vous parlez sont-ils aussi nuisibles pour la population de Bamako ?

C’est une des choses qu’on étudie en ce moment. Les recherches sur les rongeurs, urbains en particulier, sont souvent liées aux recherches sur la santé humaine. Parce que tous les rongeurs, en villes ou en dans les milieux ruraux, peuvent être porteurs de maladies zoonotiques. Les zoonoses sont les maladies qui transitent entre les humains et les animaux, et parmi les animaux, les rongeurs sont très connus pour être des réservoirs de virus, de bactéries, de protozoaires ou de vers parasites transmissibles à l’homme. Donc l’arrivée de rongeurs invasifs peut entraîner de nouvelles maladies pour l’homme, car ces rongeurs amènent justement de nouveaux parasites. Et cela représente donc des risques accrus pour la santé humaine. Parmi les objectifs de cette étude, il y a donc d’avoir une liste des espèces de petits mammifères, de savoir comment elles se répartissent dans Bamako, mais également d’identifier des parasites et pathogènes zoonotiques susceptibles d’être transmis à l’homme. Nous prévoyons également de transmettre ces informations aux services d’hygiène ou aux services de santé pour aider les actions mises en œuvre contre les rongeurs au niveau de chaque quartier et concession.

Entre les espèces locales et invasives, de quelle espèce la population de Bamako doit-elle s’inquiéter le plus ?

Après quelques mois passés à piéger les petits mammifères, je me suis rendu compte que les espèces locales de rongeurs ont quasiment disparu des maisons dans les communes du district de Bamako. La seule espèce locale qui reste et qui se maintient à peu près est une espèce non pas de rongeur, mais de musaraigne (un insectivore). C’est une espèce avec un long nez, qui sent assez mauvais et qui crie assez fort, bien connue des bamakois. Nous avons tout de même capturé quelques individus d’une espèce de rongeur natif appelée Mastomys natalensis, connu sous le nom de « rat à mamelles multiples ». On l’a trouvé dans des périphéries de quartiers excentrés du district de Bamako, vers les collines bordant Lafiabougou ou près du marigot de Missabougou. Théoriquement, toutes les espèces peuvent être réservoirs de bactéries, virus ou autres agents zoonotiques. De façon spécifique, on n’a pas encore fait de comparaisons à Bamako pour savoir lesquelles entre espèces indigènes (musaraignes, rats à mamelles multiples) et invasives (souris domestique, rat brun et rat noir) sont les plus « dangereuses ». Parmi les maladies que ces rongeurs peuvent véhiculer et transmettre à la population, figurent notamment la leptospirose, les bilharzioses, la borréliose… Vous avez probablement aussi entendu parler du virus de Lassa à l’origine de fièvres hémorragiques, qui sévit régulièrement en Guinée et dont des cas sont enregistrés au sud du Mali de temps en temps. Eh bien, on a découvert que le réservoir de ce virus est bien Mastomys natalensis. Fort heureusement, aucun cas de cette maladie n’a encore été enregistré à Bamako.

Que faites-vous des rongeurs que vous capturez pour faire vos analyses ?

On a mis en place un protocole prévoyant un certain nombre de prélèvements de rongeurs, qui a été validé par l’Institut national de santé publique du Mali. En effet, tous les rongeurs qu’on capture sont autopsiés, c’est-à-dire sacrifiés. On réalise entre cinq et dix prélèvements biologiques sur chaque rongeur : on prélève des ectoparasites (puces et tiques), du sang, le tube digestif pour étudier les parasites intestinaux, et plusieurs organes qu’on réparti entre les spécialistes de différents groupes de parasites et de pathogènes associés au projet, pour en faire l’inventaires et la caractérisation. L’unité « Zoonose » du Laboratoire de biologie moléculaire appliquée de la Faculté des sciences et technique du Mali, dirigée par le Professeur Ousmane Koita est une des structures impliquées.

A ce stade de votre étude quels conseils pouvez-vous promulguer à l’endroit de la population et des services de santé ?

Notre étude a démarré avec une équipe de l’Institut d’Economie Rurale (IER) conduite par le Dr Solimane Ag Atteynine, spécialiste des rongeurs. L’étude va durer trois ans. On est donc au début du programme, mais les recommandations simples que nous pouvons d’ores et déjà donner ont trait à l’hygiène domestique : nettoyer les cours et les pièces de la maison, ranger et mettre à l’abri tout ce qui est aliment pouvant attirer les rongeurs, éliminer correctement les ordures… Stocker les aliments dans des sacs en fibres posés à même le sol dans des pièces non étanches aux rongeurs ne suffit souvent pas, car les rongeurs peuvent y entrer et même y faire leurs abris. Au niveau municipal, il faudrait également des actions massives et coordonnées pour rénover et nettoyer les collecteurs d’eaux usées.

Propos recueillis par Mardochée BOLI

 Qui est Laurent Granjon, ce chercheur spécialiste des petits mammifères ?

Dr Laurent Granjon

Née en 1962, Laurent Granjon mesure 1,72 mètres, de nationalité française. Il est venu pour la première fois en Afrique lorsqu’il avait 23 ans. A son arrivée, au Sénégal, il a travaillé sur sa thèse de doctorat qui portait sur les populations insulaires et continentales de rongeurs (rat noir en France, rats à mamelles multiples au Sénégal).  Auteur de plus d’une centaine de publications scientifiques, il a débuté ses premières études au Mali en 1999, dans le delta intérieur du fleuve Niger.  « J’ai fait un premier séjour au Mali, qui a duré sept ans, en détachement du Muséum national d’Histoire naturelle de Paris à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) au Mali, avant d’intégrer définitivement l’IRD en 2006 » a expliqué Laurent Granjon à JSTM. Revenu au Mali en 2021, le chercheur espère « pouvoir y continuer ses travaux dans les meilleures conditions dans les années à venir », dans le cadre des thématiques de son unité de recherche de rattachement, le Centre de biologie pour la gestion des populations (CBGP).

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