4 questions à Dr Hamidou Tembine, directeur du laboratoire d’apprentissage et de théorie de jeux à l’Université de New York
Titulaire d’une maîtrise en sciences appliquées aux mathématiques et à l’économie à l’Ecole Polytechnique, Palaiseau, France, Dr Hamidou Tembine a soutenu une thèse, en 2009, à l’INRIA et à l’Université d’Avignon. Auteur de deux livres et plus de 150 articles scientifiques dont huit primés, l’expert en Prise de décision stratégique / Théorie des jeux répond aux questions du Journal Scientifique et Technique du Mali (JSTM).
1- Dites à nos lecteurs, comment le jeune dogon que vous étiez s’est retrouvé en France?
Je suis originaire d’Orsongo, Wadouba, situé à une quarantaine de kilomètres de Bandiagara, au pays Dogon. J’ai démarré l’école au pays Dogon à trois kilomètres de mon village natal. Puis j’ai eu la chance d’avoir des bourses d’études: le programme d’excellence UNESCO, puis le programme d’excellence de la cellule 300 jeunes, puis programme d’excellence du gouvernement français. Ces différents programmes d’études m’ont permis d’aller plus loin dans ma scolarité. C’est dans ces cadres que je me suis retrouvé en France. Si je suis allé étudier à l’étranger, en France, c’était d’abord et avant tout pour élargir mes connaissances dans le domaine de la science, technologie et de l’innovation.
2- Comment avez-vous choisi ce domaine (Prise de décision stratégique / Théorie des jeux) si peu connu au Mali ?
Avant de croiser la théorie des jeux, j’étudiais les mathématiques appliquées à l’Ecole Polytechnique à Palaiseau à Paris. La théorie des jeux était enseignée à l’Ecole en économie mais aussi en ingénierie. J’ai pris quelques cours dans ce domaine puis des stages à Lausanne en Suisse, à Constance en Allemagne et à Urbana dans l’Illinois aux Etats-Unis puis un doctorat sur cette même thématique. Un des aspects importants de la théorie des jeux, c’est que ce n’est pas uniquement de la théorie, elle a aussi des applications concrètes dans la vie de tous les jours. J’ai, dans un premier temps, utilisé cette théorie pour analyser des comportements des producteurs d’ordinateurs portables et les différentes normes de nos câbles électriques. Par la suite, nous avons étendu le domaine d’applications dans les réseaux de communications sans fil, le trafic routier, la distribution d’eau, la consommation d’énergie et dans l’internet des objets. Ces dernières années d’expérience nous ont aussi permis de développer des techniques d’apprentissage pour trouver des solutions de co-opétition (coopération compétitive ou compétition coopérative) entre les acteurs d’une interaction. J’ai déjà écrit deux livres dans ce domaine. C’est donc un domaine très prometteur qui conjugue l’information, l’apprentissage, et la prise de décision stratégique. Nous sommes en train de voir comment la co-opétition dans les jeux de type champ moyen pourrait être utilisée dans le co-apprentissage et le co-développement des nations.
3- Comment êtes-vous retrouvé enseignant à l’Université de New York? Comment s’est fait le passage du français à l’anglais?
Apres mon doctorat en théorie des jeux, j’ai eu la chance d’enseigner à l’Ecole Supérieure d’Electricité à Paris comme maitre de conférences de 2009 à 2013. Ensuite j’ai eu une offre pour être professeur assistant à l’Ecole Polytechnique de New York puis à l’Université de New York. Je dirige le laboratoire d’apprentissage et de théorie de jeux à l’Université de New York depuis 2014.
Mon passage du Français à l’Anglais s’est fait tout en douceur. J’enseignais déjà en anglais en master à l’Ecole Supérieure d’Electricité et en français dans le cycle ingénieur de l’Ecole. J’avais aussi été chercheur visiteur à l’université de l’Illinois aux Etats-Unis en
2008 puis à l’université de Californie à Berkeley en 2011 où j’intervenais en théorie des jeux. Ces expériences m’ont permis de mieux pratiquer la langue dans la vie pratique au-delà des cours d’anglais que j’ai eu la chance de recevoir du secondaire jusqu’au doctorat. Je trouve que c’est une richesse de parler plusieurs langues de ce milieu où les chercheurs viennent de partout dans le monde.
4- Avez-vous des projets au Mali? Ou pour le Mali ?
Depuis 2002, mes partenaires et moi, intervenons dans des villages au Mali, pour l’accès à l’éducation (primaire), à l’eau potable, au centre de premiers soins, l’agriculture (projets maraîchages) et à la microfinance. Nous sommes à plus d’une cinquantaine de villages aujourd’hui et espérons continuer l’expérience au-delà. Le projet mise sur trois piliers:
(i) ce sont les habitants du village qui identifient leur problème majeur (de première nécessité), (ii) ils évaluent leur niveau de participation pour résoudre ce problème, (iii) ils nous contactent pour l’examen et les possibilités pour compléter le financement, la gestion et le suivi du projet de bout en bout, et à long-terme. Au-delà de ce projet humanitaire, nous sommes aussi en train de monter une équipe de collaboration inter- domaine au niveau de la formation et de la recherche de pointe entre plusieurs entreprises et universités au Mali. Ma visite en avril 2018 à Bamako au Mali était pour travailler à la mise en place de cette collaboration interuniversitaire et interdisciplinaire.
Propos recueillis par @mamadou_togola